Lettre de l’Académie des Sciences Commerciales n°1
Nous voulons manger moins, plus sain, sans gluten, sans sucre ajouté, sans trop de sel, sans autant de gras, avec moins de viande voire sans – pour les végétariens -, avec peu de fromage, voire sans – pour les végans – et avec plus de graines. Pour les uns, cuisiner fait perdre du temps, surtout en ville, alors qu’on peut acheter des plats tout préparés au supermarché du coin, et il y en a de plus en plus, ou tout commander sur Internet et se faire livrer à vélo ou scooter. Place à la FoodTech ! Les autres veulent consommer mieux, cuisiner des produits sains achetés près de chez eux. Manger des fraises en décembre était une fête, c’est devenu un gâchis de carbone !
Manies de jeunes, de millenials, de hipsters (artistes bohèmes), de bobos (bourgeois-bohèmes) ou de séniors qui veulent s’entretenir, même si leurs retraites sont menacées (ou à cause de cela) ? Les raisons « en ique » abondent, psycho, socio, éco ou techno, pour expliquer ces changements dans notre consommation. On parle de « déconsommation », antichambre de la « décroissance », comme Derrida parlait de « déconstruction » : la philosophie passe au micro-ondes.
Un changement massif et brutal se produit sous nos yeux. La consommation alimentaire, qui augmentait de 0,1% par trimestre en 2016 et 2017, baisse de 0,3% au 1er trimestre 2018, de 1,3% au 2 ème et se reprend un peu, de 0,1%, au 3ème. Cette rupture ne peut être expliquée par la hausse de la CSG sur les retraites supérieures à 1 200 euros : le revenu réel est remonté au deuxième trimestre (+0,6%), compensant la baisse de 0,5% au premier. Ce qui se passe est plus profond et durable.
Oui, la France change dans ce qu’elle mange, avec ses métropoles qui concentrent les populations au détriment des villes moyennes et, bien sûr, des campagnes. Elle vieillit aussi. Les villes abritent des familles de taille plus réduite, sinon monoparentales, avec de nouveaux besoins : moins de viande, portions individuelles, produits de meilleure qualité, en quantités plus faibles. Les millenials aussi ont des goûts bien tranchés. La santé est leur souci majeur, avec des produits de saison, au circuit le plus court possible. Internet permet à tous de vérifier les prix, de passer commande pour se faire livrer. Amazon est devenu le nouveau concurrent des distributeurs, au point que l’un d’eux préfère s’allier avec ce géant du Web (Casino). Pour continuer à baisser les prix, alliances et concentrations se poursuivent. Les centrales d’achats en « centralisent » toujours plus, en France ou hors de France (peut-être aussi pour payer plus tard les factures, échappant ainsi aux règles de l’hexagone). Ceci pousse aussi les producteurs d’équipements ménagers à serrer davantage leurs coûts, à se concentrer et à aller au Vietnam, car la Chine, c’est trop cher ! Les agriculteurs, eux, doivent « monter en gamme », mais comment, si les prix sont aussi serrés ? Et les éleveurs ?
Oui, la France change aussi dans ce qu’elle boit. De 100 litres de vin par an et par habitant en 1975, sa consommation passe à 47 litres en 2016, certes de meilleure qualité, en attendant 43 litres en 2020. La chute de la consommation d’alcool est nette en 2016. Et un million de fumeurs quotidiens ont cessé de pétuner, entre 2016 et 2017 !
« Quelque chose » s’est passé ces dernières années ! Pas de surprise, alors, si la grande distribution est en crise, ou en mutation en France, après celle des Etats-Unis, elle en vraie crise. Carrefour estime que 50 de ses hypermarchés sur 247 en France sont « sous-performants » et devront fermer, réduire leur taille ou être vendus. Pour chacun, se posent des problèmes sociaux, concurrentiels ou politiques. Il en est de même pour Casino, poussé en outre par la nécessité de réduire rapidement sa dette : 20 hypermarchés sur 110 seraient sur la sellette et 55 Monoprix sont cédés. Et on dit que Carrefour aurait approché Casino !
L’histoire n’est pas finie : Société générale et LCL réduisent leurs réseaux, tout comme les assureurs, les vendeurs de vêtements et de chaussures. Les centres commerciaux s’interrogent. Internet est partout ! Tout ceci annonce un choc d’emploi plus important que celui engendré par la multiplication des robots. Quelles solutions adopter dans ce contexte ? Former, monter en qualité, s’appuyer sur la marque France ? Oui, mais pas facile avec un revenu qui stagne ! La « transconsommation » menace certainement des dizaines milliers d’emplois. C’est une transformation sociale majeure !