La Banque centrale européenne redevient-elle allemande ?

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 La Banque centrale européenne redevient-elle allemande ?

Ce qui se passe depuis le 21 juillet, avec la hausse surprise de 0,5% des taux courts par la BCE, alors qu’elle avait annoncé la moitié il y a un mois, à Amsterdam, est une révolution.

En effet, décider d’une augmentation double de ce que l’on avait cru acquis, est une rupture dans la communication de la BCE : elle disait ce qu’elle allait faire et le faisait. Ce pilotage des anticipations, forward guidance comme on dit à Frankfort, partait de l’idée qu’il fallait mettre les marchés financiers dans la confidence, leur faire comprendre où on allait et surtout ne pas les prendre à revers. C’est ce qui a permis, pendant plusieurs mois, à la BCE, de baisser les taux sans inquiéter les marchés et plus encore, dans les derniers mois, de ne pas monter ses taux, alors même que l’inflation montait. A 4% d’inflation, la hausse de la TVA en Allemagne avait alors bon dos, pour expliquer qu’on était plus à 2%. Pas à 8,6% : l’explication ne pouvait plus être prise au sérieux. Il fallait donc augmenter vivement les taux : la guerre d’Ukraine, les prix du gaz et du pétrole plus ceux de l’alimentation, plus le covid et les ruptures des chaînes de valeurs internationales venant de Chine, donnaient d’amples raisons à ce revirement.

Mais ce n’est pas tout. Non seulement la BCE fait une hausse double de celle annoncée, mais elle ne veut plus rien dire sur le futur. C’en est fini de la forward guidance, du « voyage des taux » que dessinait Ch. Lagarde en juin. On retrouve la BCE du début, sous l’influence allemande de la Buba, où il ne fallait rien dire de ce qui serait décidé lors de la prochaine réunion. JC Trichet s’était fait une notoriété par son : « we do not precommit ». Il faut mettre les marchés dans l’incertitude. Plus inquiets, ils seront moins enclins à faire plus de crédit. La forward guidance n’est plus de mise quand les prix montent : elle accompagnait la désinflation dans une sorte de copinage avec les marchés. Sans qu’ils soient devenus ennemis, ce qui est sûr, c’est qu’ils n’aiment pas la hausse des taux. Mieux vaut ne rien leur dire. Ils verront bien, de mois en mois, ce qui se passe avec cette BCE « data dependant ». Esclave des chiffres sans avoir l’outrecuidance de les guider, elle frappera d’autant plus fort qu’on s’éloigne des 2% d’inflation tant voulus.

Mais on ne pourrait accepter cette germanisation de la BCE, en pleine crise italienne, sans qu’elle n’offre quelque solution apaisante. Apparaît ainsi le TPI, Transmission Protection Instrument, créé pour ne pas susciter de hausse trop forte des taux longs dans les « pays fragiles ». Il s’agit de permettre la diffusion de la politique monétaire sans « fragmentation ». On en voit le début, avec les taux à 10 ans italiens à 3,5% par rapport aux taux allemands à 1% ! Dans un pays où la dette publique est égale à 1,5 fois le PIB, au bord de la récession, cette explosion des taux longs italiens est mortifère… pour la zone euro aussi. C’est pour cela que le « Bazooka » contre ce risque, tant demandé par les marchés, a été (sommairement) décrit ce même 21 juillet. Ch. Lagarde indique que tous les pays pourront en bénéficier, saluons la largeur d’esprit, sans donner de taille prévue à ces aides, ni de durée : la largeur d’esprit ne cesse pas. Mais ce serait mal connaître cette BCE qui n’est plus celle du Draghi du « whatever it takes » sans conditions particulières. Aujourd’hui, elle est prête à aider les pays en difficulté, pour autant qu’ils aient des comptes en ordre et qu’ils soient solvables. Tout le monde comprend que c’est à l’Italie de faire des réformes et de montrer qu’elle sera solvable après ces aides, pour qu’on l’aide avant !

Ce 21 juillet, où la BCE change de stratégie en abandonnant la forward guidance, en montant vite ses taux d’intérêt, obéit surtout à des préoccupations d’investisseurs germaniques et d’Europe du Nord qui en ont assez de perdre entre 4 et 5% l’an sur l’achat des bons de leurs Trésors respectifs, pour plaire « aux autres ». En même temps, pour éviter une bronca, vient ce TPI destiné à ceux qui n’en ont pas besoin, la BCE/Buba ne voulant pas prendre le risque d’être accusée de financement monétaire de pays en difficulté. Trocs politiques !

Draghi est parti. Christine Lagarde est embarrassée pour présenter ce revirement et ce « plan d’aide ». La BCE, née dans le berceau de la Buba avec sa doctrine monétariste, y revient. Bientôt l’Allemagne demandera pourquoi elle ne l’a jamais présidée ?