Bien sûr, le profit des entreprises ne tue pas le COVID-19 : il aide à soutenir l’activité, l’emploi et à mieux repartir. Ce n’est pas si mal. Bien sûr, le virus ne lit pas non plus les bilans des entreprises pour attaquer ici ou là. Mais quand les profits sont faibles, les entreprises fragiles, la croissance moindre, les États endettés, alors les dommages sociaux, économiques et financiers de la pandémie sont plus graves et durables. En France, le COVID-19 a beaucoup tué et tuera : c’est un drame. Mais il aura détruit encore plus d’emplois, d’entreprises, de familles, de communautés. Il pèsera, par les dettes qu’il laissera pour contrer l’effondrement et permettre le redémarrage. Souhaitons qu’il disparaisse et que sa leçon économique soit comprise : la meilleure protection, c’est un niveau élevé de rentabilité des entreprises pour plus d’investissements de pointe et mieux former (et payer) les salariés, dans une montée en gamme. Prévenir aide à guérir.
En 2019 les sociétés françaises dégagent 400 milliards de marge, soit 32,8% de leur valeur ajoutée. Cet argent a servi à rémunérer le capital et à investir, une fois les salaires payés. Ce profit est décisif pour après : croissance, investissement, exportation et emploi. Ces 32,8% de 2019 sont à comparer aux 31,2% de 2018, proches et pourtant obtenus en remplaçant le CICE, un Crédit d’Impôt instable, par une baisse pérenne des charges sociales, donc en acceptant de moindres rentrées fiscales. Que de débats autour de ce « cadeau aux patrons » ! Car ce taux n’est toujours pas celui d’avant la crise des subprimes en 2007 : 33,4% ! Il aura fallu dix ans pour retrouver la rentabilité d’alors, dix ans où on n’a pas pu assez soutenir l’investissement et l’emploi !
500 milliards de marge, 100 de plus, c’est ce qui aurait été obtenu si les entreprises en France avaient en 2019 le taux de marge de leurs consœurs allemandes : 40,6% ! Ne parlons pas du rattrapage en cours avec le 43% en Espagne, après la crise de 2012 et des baisses de salaires. Et regardons que le 41,7% en Italie ne suffit pas, tant le pays fait face à une crise plus grave que la nôtre.
D’où vient ce retard de 100 milliards ? Des taxes ! En 2019 en France, 60,4% des bénéfices vont à les payer, contre 53% en Italie, 49% en Allemagne, 47% en Espagne et 30% au Royaume-Uni.
Peut-on être alors surpris d’avoir ici trop peu de croissance, d’innovation et un déficit extérieur permanent ? Non. Si le profit est trop faible pour investir, innover, embaucher, former et monter en gamme, la croissance sera trop faible, l’exportation à la remorque, le déficit budgétaire permanent. Un déficit que la France a essayé de modérer sans vraiment y parvenir, même en ayant déployé tous ses efforts pour en faire « revoir » le calcul dans la zone euro ! Un déficit qui explose aujourd’hui. Il devait être de 3% du PIB en février. Avec le Covid-19 il va à 7,5% en mars et 10% fin avril. Et ce n’est pas fini !
Peut-on être surpris de la montée de l’endettement des entreprises ? Non. Pour pallier ce manque de marges et « tenir » par rapport à leurs concurrentes, elles ont dû emprunter pour 72,5% du PIB en 2018, contre 50,3% en 2004.
Peut-on craindre une crise de la dette publique ? Non, elle va exploser… mais. En 2020, le déficit pourrait atteindre 150 milliards, contre 93 avant la pandémie. Compte tenu de la dette française qui vient à échéance pour 130 milliards cette année, il faudra trouver 280 milliards d’euros cette année : 130 + 150. Ce qui n’ira pas de soi, car tous les États vont demander plus. Qui va acheter tous ces bons du trésor ? A quel taux ? Les agences de rating vont-elles prendre peur ? Dégrader la note France ?
Mais cette dette sera vendue. Les non-résidents ont 54% de notre dette publique fin 2019. Pourquoi partiraient-ils, même à 0% d’intérêt ? Ils n’ont pas assez peur pour prêter à -0,5% à l’Allemagne, mais trop pour prêter à 1,8% à l’Italie. Et les Français, inquiets, vont remplir leurs assurances-vie. Combien la Banque centrale européenne va-t-elle en acheter ? D’autant plus que nos entreprises gagneront plus, pour assurer la reprise !
Alors baisser les impôts pour repartir plus vite en augmentant le profit des entreprises? Pas encore, mais au moins dire qu’ils n’augmenteront pas pour les entreprises et surtout les ménages ! Les plus modestes doivent reconsommer, les plus riches réinvestir. C’est ce qu’il faut expliquer. Pas gagné.