Sobre est l’adjectif à la mode. Pour les latinistes, il vient de se-bria, se pour sine autrement dit sans… bria, ce vase à boire qui donnera l’ébriété. Sobres, nous marcherons droit. Vers où ? Sobres contemporains, nous ne serons pas saouls, pour autant que nous suivrons les « bons dirigeants » qui nous proposent ce qualificatif, lié à leur programme. Nous adopterons alors un modèle économique et politique qui nous sauvera des périls qui nous menacent, avec la maîtrise de soi ainsi acquise. Ce « nouveau sobre » adoptera un comportement écologique, social et politique, qui peut être étendu à tous, parce que moral. Parler de sobriété, creuse donc les différences avec ces ères passées dont nous parle Emmanuel Macron : ère de l’abondance, parce qu’ère de l’insouciance. On sent passer alors le souffle du temps et des occasions perdus. Sevrés, il nous faudra être plus sérieux, avec ces gestes qui nous éviteront le froid, si le gaz s’arrête, le noir et le froid, si l’électricité se coupe. Poutine et le réchauffement climatique nous verdissent à vive allure.
Mais cette « sobriété macronienne » n’est pas seulement liée à ce changement d’ère, d’où les oppositions qu’elle suscite. En effet, le risque de sobriété est double : d’abord celui d’une évidence qui s’imposerait à tous, donc aux politiques, les poussant au chômage, ensuite celui d’une exigence qui dépasserait l’économie, telle que nous la connaissons.
La sobriété comme évidence, c’est intégrer la variabilité climatique qui s’installe, avec la canicule qui réchauffe la mer comme jamais et assèche les rivières, avant que ne viennent les pluies torrentielles et les inondations. Trop peu d’eau ici et trop là, sachant que le peu mène souvent au trop. Les fameuses « moyennes saisonnières » deviennent des montagnes russes, qui nous poussent à voir au-delà de l’excès du moment, pour ajuster nous-mêmes nos comportements. C’est là le risque pour les politiques, dont on pourrait se passer si nous intégrons une vision à moyen terme, d’où leur opposition à cette exigence de sobriété. Il faudra donc nous habituer à leurs harangues destinées à nous faire réagir dans leur sens, puis à attendre les analyses opposées, avant d’espérer des analyses étayées. Elles finiront par venir.
Exemple de sobriété : quand on nous parle d’un prix de l’électricité à 1000 euros le kilowattheure, inutile de s’angoisser et de conspuer Bruxelles, l’Élysée ou EDF. Ce prix est un pic de quelques secondes, qui sera automatiquement corrigé. Mieux vaut adopter un comportement plus sobre en consommation inutile et en invectives, pour comprendre selon quelle logique s’est créé le marché européen de l’énergie. Il commence par le prix le moins cher : le nucléaire, jusqu’à faire démarrer la centrale gazière la plus chère, pour équilibrer l’offre et la demande d’électricité, en évitant ce qu’était alors l’horreur absolue : la coupure… Tout est donc fait pour satisfaire ce consommateur marginal, même au plus haut prix, en supposant donc des abondances de gaz russe, d’eau pour rafraichir les centrales nucléaires et de pétrole saoudien. Raisonnement plein d’hypothèses aussi favorables les unes que les autres qu’il faudra changer, mais sans oublier les risques permanents du noir et du froid, donc sans adopter de nouveaux comportements. Le sobre est souple.
La sobriété comme exigence vient alors : l’appel à la raison, pas aux peurs et aux passions. On nous menace de soif, de faim et de froid, de nouvelles cavernes où le viril chasseur cuira sa viande s’il en trouve, ou vivra d’une très difficile cueillette. Il faudra changer, au milieu de ces virus venus de chauve-souris et de singes, en attendant ceux qui vont sortir de leur sommeil glaciaire, le tout en pleines guerres. Heureusement que le sobre est optimiste !
Il ne peut oublier qu’il n’a fallu qu’un an pour dompter le Covid-19 et qu’il n’y a rien de tel que les crises pour accélérer innovations et acceptations. La sobriété n’est pas la pauvreté, ce n’est pas accepter la baisse du pouvoir d’achat : c’est innover, non pas demander des hausses de salaires qui gommeraient ce monde qui change. Nous ne sommes pas prêts à consommer moins, mais moins si c’est mieux, pour nous et la planète, avec les entreprises et les formations : évident !
Moins de jets et de piscines : la sobriété contre les riches ? Non, ce n’est ni la décroissance, ni la contrainte, surtout avec ses excès. Il faut être sobrement sobre : la morale rejoint le calcul, mieux sans être sombre.