Eau et pain : les deux guerres qui viennent

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 Eau et pain : les deux guerres qui viennent

© Jordane Saget

Mardi 22 mars, journée mondiale de l’eau, ce cube splendide apparaît Place de la République, dessiné et créé par Jordane Saget (www.jordanesaget.com). De ce cube, sort un petit robinet pour emplir de jolies petites bouteilles, elles aussi dessinées par l’artiste, d’un précieux liquide : de l’eau ! En faudra-t-il plus pour que l’on apprécie le miracle permanent de cette eau que l’on boit chez soi sans problème, qui sort « naturellement » de la pomme de douche pour se laver longuement, du robinet pour se laver les dents avec soin, ou que l’on ne voit même pas quand elle travaille dans les machines à laver le linge ou la vaisselle ? Plus le niveau de vie augmente, plus nous en consommons. Sans nous en rendre compte, avec la viande et surtout le chocolat, nous mangeons de l’eau.

En France, on commence cependant à voir des fleuves à sec, sous le Pont du Gard par exemple, à avoir des inquiétudes quand les nappes phréatiques baissent en été, à sentir monter les tensions entre les agriculteurs, qui veulent plus d’eau pour le maïs et les écologistes, ou à propos des « bassines ». Il ne s’agit pas ici de récipients en plastique, mais de vastes retenues d’eau, alimentées en hiver à partir des nappes et des rivières, avec l’idée de les utiliser en saison chaude. Mais que se passera-t-il si la France veut non seulement garantir son autonomie alimentaire mais aussi exporter, suite à la guerre en Ukraine, sachant que les écologistes sont hostiles à une agriculture productiviste avec des variétés génétiquement modifiées, moins consommatrices d’eau ? En plus, les centrales nucléaires, les puces électroniques et les cryptomonnaies ont besoin d’eau ! Comment la France va-t-elle répondre à ces besoins croissants, si elle ne sait pas les hiérarchiser et les réguler, pour mieux répondre à cette demande, humaine et stratégique ?

Hors de France, c’est pire. Le Nil bleu qui alimente le Nil depuis l’Éthiopie suscite des tensions entre celle-ci et l’Égypte, comme le Tigre et l’Euphrate entre Syrie et Turquie, ou le Brahmapoutre entre Chine, Inde et Bangladesh. Si l’on ajoute réchauffement climatique, augmentation de la population et crise des agricultures vivrières, un mélange détonnant se forme sous nos yeux, avec ces migrants climatiques qui vont vers les villes dans les pays pauvres ou émergents. Ils y seront plus dépendants d’un pain plus rare et cher. Aujourd’hui plus d’un milliard d’êtres humains vivent dans des régions où sévissent des pénuries d’eau ; ils seront plus de trois dans huit ans. Se sensibiliser à ces évolutions avec Jordane Saget, changer de comportements et accepter les progrès des sciences et techniques agricoles pour faire évoluer les semences et les arrosages : pas le choix, si nous voulons la paix.

Pain et blé : c’est la deuxième guerre qui vient, plus proche, sociale et directement politique, reliée à celle, première, de l’eau. Un boisseau (25 kilos) de blé valait 700 dollars il y a un an et 1070 actuellement, après un pic à 1200 début mars, au début de l’attaque de l’Ukraine. Ce qui est certain, c’est que ce prix va rester élevé. On dit que trois vraquiers emplis de céréales venant d’Ukraine demeuraient début avril au large de Sfax en Tunisie, tandis que la farine commençait à manquer, attendant d’être payés pour livrer, inquiets d’un défaut de paiement du pays. Partout ailleurs, en Egypte, Algérie, Maroc, Lybie et Liban, des tensions vont monter, liées à des pénuries en magasin et, en tout cas aux pressions inflationnistes. Partout en effet, dans ces pays, subventionner la farine a longtemps été le plus sûr moyen pour obtenir une certaine paix sociale. Il suffit, au Caire, d’avoir vu les regroupements quand les fournées de pains subventionnés étaient livrées, pour mesurer cette dépendance. Il suffit aussi de considérer les situations budgétaires fragiles de ces pays, pour voir la précarité de ces mesures « sociales ».

Mais ici, ce n’est pas sur l’eau qu’on gâche ou sur le pain qu’on jette, que montent les critiques. C’est sur les riches qu’il faudra taxer, peut-être pour leurs piscines et la farine qu’ils entasseraient, ou plus sérieusement parce qu’ils peuvent payer. Mais ce n’est pas le sujet : ce n’est pas aux manques d’eau ou de pain ici, mais à ceux qui arrivent chez nos voisins, si rien ne change dans nos façons de produire et de consommer, qu’il faut remédier. C’est le vrai message de ce cube : pas de paix, sans bien gérer la beauté de l’eau et du pain.