Dans quel centre est donc passée la vertu ?

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 Dans quel centre est donc passée la vertu ?

C’est quand l’excès règne, que l’on cherche des pouvoirs forts, faute de courage pour le futur. C’est maintenant. Seul ce qui est excessif est devenu audible, parce que facile. C’est partout. Ne cherchez donc pas de titres suaves pour les films ou les livres qui sortent, moins encore pour les articles de journaux : rien de complexe, dans un monde qui ne le fut jamais autant. Au choix : nous sommes condamnés au déclin, à la misère, à la guerre, à l’envahissement, sauf à sortir au plus vite de ce cocon libéral où nous sommes nés, cocon aujourd’hui en faillite. Et ceux qui ne participent pas à ces « analyses » sont de pauvres naïfs ou des manipulés, à moins qu’ils ne se réfugient dans le déni. Les crises des démocraties prennent, devant nous, des allures de châteaux de cartes que nous voyons tomber, élection après élection. La mort de la reine d’Angleterre clôt notre plus longue période de paix. Voilà ce qui résume, non les réalités mais les simplifications qui nous permettent, apeurés, de ne pas penser, donc de ne pas agir.

La célèbre expression latine, qui nous assure que c’est au centre que se trouve la vertu, est-elle donc définitivement dépassée ? Faut-il cesser d’espérer atteindre la vertu du centre par un travail sur soi, par la réflexion, par l’étude, la discussion et le compromis ? A moins que ce centre ne s’obtienne désormais que par la confrontation de tensions et d’excès. Sorte de demi-somme, ce centre dit vertueux est-il devenu instable, dangereux même ? Faudra-t-il aujourd’hui en passer par là, par des exercices d’inculture et de violence, aux abords d’une troisième guerre mondiale ? C’est le danger actuel : s’habituer à l’excès, donc aux mensonges, qui préparent toujours à la montée des crises et des drames, en prétendant les atténuer.

En 2021, selon l’indice de la démocratie de The Economist, 21 pays sont des démocraties complètes, 53 sont défectueuses (dont la France, première juste sous la barre de la pleine démocratie, suivie d’Israël, de l’Espagne et … des Etats-Unis). 34 pays offrent des « régimes hybrides », diplomatique expression, et 59 sont autoritaires. Si l’on passe aux populations, le paysage est plus contrasté encore : la « vraie » démocratie est présente pour 6,4% de la population mondiale et sous des formes défectueuses dans 39,3. On trouve des régimes hybrides pour « gérer » 17,2% des êtres humains et autoritaires, pour 37,1%. On voit le renversement à l’œuvre : 45,7% de la population mondiale vit dans un régime plus ou moins démocratique en 2021, contre 49,4% en 2020. Le Covid-19 est passé par là, la guerre en Afghanistan faisant de ce pays le pire des régimes du point de vue des libertés, prenant le rang de la Corée du Nord. Actuellement, tandis que demeure la pandémie, la guerre en Ukraine fait rage, accompagnant la montée des tensions et des migrations forcées. On en voit les effets sur la Suède. Quatrième démocratie par ordre de mérite dans les 12 pays européens sur 21 qui ont ce titre, dont 7 dans les dix premiers, la montée de l’extrême droite y inquiète, lors des élections du 11 septembre 2022.

La guerre et la pandémie font très mauvais ménage avec la démocratie, avec la peur qu’elles installent, plus encore qu’avec la crise sociale et économique qu’elles amènent. La démocratie suppose toujours un certain niveau de confort matériel, réel et surtout anticipé, pour accepter l’instabilité inhérente à son système électoral, aujourd’hui croissante avec la montée des extrêmes. Avec la bipolarisation des points de vue, les émotions prennent le dessus sur l’analyse et la raison, avec les haines.

C’est là que nous en sommes dans nombre de démocraties, notamment en Europe qui en demeure le symbole, autrement dit le système à abattre pour les « régimes illibéraux » et pire. Retrouver le centre, c’est d’abord respecter les faits, dont le résultat du vote.

Mais dans quel centre est la vertu ? La démocratie est née à Athènes, petite ville où votaient les citoyens, pas les femmes ni ceux qui venaient d’autres villes et bien sûr pas les esclaves. Mais là-bas, « nul n’est gêné par la pauvreté ni par l’obscurité de sa condition sociale, s’il peut rendre des services à la cité ». Ce n’est pas du Fabien Roussel, pour qui « la gauche… doit défendre le travail (et pas) les allocations » mais presque, c’est plutôt d’un nommé Périclès. A l’époque, la vertu passait sans problème par le travail, l’effort et la participation à la vie publique. Et maintenant ?