Réussir le Brexit, pour la zone euro, c’est mener une action subtile et résolue pour que le Brexit rate… mais sans trop. Il s’agit de faire perdre le Royaume-Uni, mais sans trop l’affaiblir, compte tenu de son poids stratégique. Pas facile !
Vous avez dit : Brexit ? Eh oui, c’est une nouvelle dévaluation : la « dévaluation structurelle ». Elle est plus dangereuse que les trois que nous connaissons. Faisons l’inventaire.
Commençons par la dévaluation monétaire : la livre baisse, ce qui aide les exportations britanniques. Mais les importations deviennent plus chères : l’inflation importée conduit à la hausse des taux. Les avantages s’estompent.
La deuxième dévaluation est salariale. Les salaires baissent, comme en Espagne ou au Portugal, en liaison avec leur chômage élevé. Leur compétitivité s’améliore par rapport à celles des voisins italiens, français ou allemands. Cette dévaluation exporte directement du chômage et s’installe plus longtemps que la dévaluation monétaire.
La troisième dévaluation est fiscale. L’impôt sur les sociétés baisse. Les entreprises nationales gonflent leurs marges, pour investir et exporter, tandis que la « TVA sociale » augmente, ce qui accroît les prix des biens et services domestiques et importés. Cette dévaluation, qui passe par les profits, a aussi des effets durables.
Quatrième, le Brexit est une dévaluation structurelle. Elle sort le Royaume-Uni du marché unique (surveillances et règles sociales, financières, fiscales, normes environnementales…) pour produire et échanger moins cher, sans red tape (comme on dit à Londres) ou sans ces « complications de Bruxelles » (comme on dit partout !). Les coûts de production anglais en seront plus bas, ceci d’autant plus que la livre baisse, tout comme l’impôt des sociétés. Le Brexit s’ajoute en effet aux dévaluations fiscale et monétaire, sans que l’inflation importée menace… puisqu’il n’y a plus d’inflation ! La dévaluation Brexit est donc bien plus hostile et durable que les autres.
Alors, comment « réussir le Brexit pour la zone euro » ? Pas simple, puisque c’est une décision non coopérative du Royaume-Uni, pour ne pas dire hostile. Le win win est donc impossible, même si nos amis britanniques nous proposent de le chercher avec eux. Si le Brexit gagne, c’est la zone euro qui perd et l’euro est en risque. Et si le Brexit perd, c’est la cinquième économie du monde qui est en crise.
Comment réagir ? Etape 1, montrer sa détermination, ne pas attendre. Envoyer le message que les biens et services venant du Royaume-Uni ne seront pas acceptés sans normes et taxes dans l’Union Européenne est essentiel.
Etape 2 : réfléchir aux nouveaux accords commerciaux, et simplifier aussi nos normes ici ! Le Royaume-Uni réunit ses meilleurs experts pour négocier l’entrée de ses biens et services en zone euro, faisons de même. Le passeport financier est décisif : il permet à la City de continuer à œuvrer en zone euro. En discuter est le test pour montrer notre détermination, ce qui implique de renforcer Francfort et Paris.
Etape 3 : le Royaume-Uni va discuter avec les Etats-Unis, les autres pays d’Europe, le Commonwealth, plus la Chine… Et nous aussi, pour l’euro. Mais l’essentiel pour le Royaume-Uni est l’Union Européenne, qui représente près de la moitié de ses exportations (voir Etape 2 !).
Comme le Brexit est un pari dangereux pour le Royaume-Uni, l’Union et la zone euro, il s’agit qu’il soit nettement plus dangereux pour lui, bref de donner raison au camp Remain. L’immobilier britannique et son financement tanguent. Le statut de la livre est écorné. La solidité de la City est ébranlée. Le risque de fuite devant le sterling peut monter, sachant que la balance des paiements du Royaume-Uni est déjà déficitaire de 6 % du PIB ! Si le Royaume-Uni ne convainc pas, il recevra moins d’investissements extérieurs, ce qui peut ouvrir une crise de sa monnaie.
Mais le risque Brexit est élevé pour l’Union européenne. Elle peut éclater, au risque d’une déflation mondiale. Voilà pourquoi il s’agit, dans les discussions, de n’être ni « punitif » ni « compréhensif », mais « stratégique ».
Réussir le Brexit pour la zone euro, c’est obtenir un succès maîtrisé, pour ne pas trop affaiblir l’allié et l’ami. C’est aussi le message à envoyer à ceux qui rêvent de sortir de l’Union Européenne ou de la zone euro, maintenant qu’ils en voient les effets et mesurent la maturité de la zone dans sa gestion de la crise. La dévaluation structurelle ne paye pas, pour personne.