Le monde des changes change. Il passe d’une guerre de mouvement à une guerre de position. La guerre de mouvement commence en 2007, quand les Etats-Unis et le dollar font peur, avec la crise des subprimes. Aujourd’hui, ce sont les émergents qui inquiètent.
2007 : une guerre de mouvement s’ouvre. La Banque centrale américaine doit intervenir et fournir aux Etats-Unis, donc au monde entier, toute la liquidité possible. Il s’agit d’éviter le pire au système bancaire et financier américain et – de fait – aux grandes banques mondiales. Les taux courts américains baissent quasiment à zéro, puis les taux longs grâce à la politique d’achat de bons du trésor (quantitative easing), le dollar suit. Le monde entier regarde les pays émergents comme de véritables sauveurs, avec la croissance toujours étonnante de la Chine, celle « revenue » du Brésil, la « prometteuse » de l’Inde, la « meilleure » de la Russie, avec quelques questions pour l’Afrique du Sud (qui reçoit l’aide des autres BRIC).
Mais assez vite la capacité de traction des BRICS diminue. Pourquoi ? Précisément parce que leurs taux de change montent puisque le dollar baisse, ce qui réduit leurs capacités de croissance par l’export, d’autant que la croissance des pays industrialisés faiblit. Taux de change des émergents qui montent, marchés extérieurs plus difficiles : ils doivent changer plus vite de modèle, en se fondant plus sur la demande interne. Plus facile à dire qu’à faire, car il leur faut des systèmes de protection et de retraite plus solides, des réseaux de soins plus efficaces, un système bancaire et financier plus fort.
2013 : la guerre de mouvement se poursuit quand les Etats-Unis inversent la vapeur. Ils se jugent assez repartis. Ben Bernanke annonce qu’il va acheter moins de bons du trésor : le tapering (l’effilochage) va réduire le quantitative easing. Une question de mois dit le patron de la Banque centrale, et tout sera fait graduellement au bénéfice de tous, ajoute-t-il. Mais les marchés financiers réagissent aussitôt. Les taux d’intérêt montent partout, les changes des émergents baissent et leurs entreprises sont coincées. Elles ont en effet profité de la période des taux bas et de leur change fort pour s’endetter sur les marchés extérieurs. Elles souffrent donc, alors qu’elles commençaient déjà à ralentir : double peine. Les politiques répercutent leurs réactions, plus les banquiers centraux (Inde et Brésil notamment) ce qui n’est pas dans les habitudes de la profession.
2014 : c’est la guerre de position. A Sydney le 22 février, au G20 Finances, le ministre des finances australien, Joe Hockey demande « no surprise » aux Etats-Unis et à Janet Yellen dans la poursuite de leur politique monétaire. Rajan Raghuram, le patron de la Banque centrale indienne, peste depuis des mois sur la politique non coopérative des Etats-Unis. Il vient de s’exprimer vertement, en Australie, sur les difficultés des émergents à peser plus au FMI. Et la Chine vient de surprendre son monde… en faisant baisser sa monnaie. C’est peut-être la preuve que les problèmes montent au sein de son système bancaire et financier, avec un ralentissement plus sévère qu’annoncé. C’est le signal le plus fort de la nouvelle guerre. Les BRICS réagissent en s’unifiant.
L’espace de liberté de la Fed se réduit. Les autres banques centrales industrialisées (zone euro, Royaume-Uni) vont devoir agir au plus serré et des pressions vont monter sur le Japon. Tout va devoir avancer au millimètre : c’est la guerre de position. Elle débouche sur une croissance plus faible, en la supposant plus stable car mieux répartie. Après la guerre de position, cette étrange paix de l’après-crise ?
Sauf si ce qui se passe en Chine, avec un ralentissement plus fort que prévu et une agressivité plus forte de la Banque de Chine, et en Ukraine, avec une Russie sous plus forte pression nous font passer à une nouvelle étape. De quelle guerre ? Ce n’est pas du tout à souhaiter.