Bernanke, Draghi, Xiaochuan… savent-ils jouer de la flûte ?

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On va le savoir bientôt, et la tournure de l’économie mondiale va en dépendre. De quoi s’agit-il ? Et bien, la crise aborde une passe difficile parce que les Etats-Unis, avec la Fed… se préparent à en sortir. Voilà quelque temps en effet que la Fed a dit qu’elle allait acheter moins de bons du trésor par mois, un certain mois, quelques milliards de moins… Il n’en fallu pas plus pour que les marchés se réveillent et demandent des précisions : quel mois, combien de milliards en moins, comment, jusqu’à quand, et après que va-t-il se passer…

 FLUTES

La Fed a réussi son coup jusqu’à présent : elle va mener le troupeau en jouant de la flûte, autrement dit en expliquant sa méthode. Elle ne pouvait s’arrêter là après son message de réveil et se devait d’expliquer sa démarche. Mais ne nous faisons pas d’illusion : c’est ce qu’elle voulait. Elle avait d’ailleurs un concept tout prêt pour cela : forward guidance, le pilotage des anticipations. Un peu comme le joueur de flûte qui mène son troupeau, séduit par la musique. Mais bien entendu le morceau à jouer n’est pas facile. Il faut qu’il soit graduel, qu’il puisse durer, qu’il soit prévisible mais pas trop, et surtout qu’il soit le bon, pour sortir de la crise. Les taux d’intérêt à long terme doivent donc monter un peu et il faut envoyer assez vite le message que l’essentiel est fait, puis que les taux courts vont suivre un peu, le tout pour normaliser la situation.

Mais quand la Fed annonce qu’elle va mener son troupeau, avec son air de flûte, elle force tous les autres banquiers centraux à faire pareil. C’est, là encore, voulu. La forward guidance devient la méthode de politique monétaire de tous les banquiers centraux : chacun doit expliquer comment il va mettre en œuvre ses objectifs en fonction de la situation. Il va donc devoir se dévoiler. Sans trahir ses décisions, il va devoir préciser sa démarche… c’est le début.

Surtout, quand les autres banquiers centraux disent que, eux aussi, ils vont expliquer la démarche d’explicitation de leurs choix, comme la Fed, ils se mettent de fait dans son sillage, joueur de flûte en chef. On comprend qu’aucun d’entre eux ne soit ravi, puisque la hausse des taux et leurs démarches vont être de plus en plus dépendantes de la Fed, autrement dit des Etats-Unis. Les Etats-Unis vont ainsi bénéficier d’une réduction de la prime de risque par rapport aux autres, devenus suiveurs. Et malheur à celui qui change de registre, de musique, d’air, de flûte. Ou qui joue faux.

Les marchés financiers apprécient aujourd’hui cet alignement, mais ceci ne peut durer. Les marchés financiers n’entendent pas trop les réactions négatives de la Chine, avec Zhou Xiaochuan le gouverneur de sa banque centrale, qui n’aime pas suivre. Ils s’inquiètent peu des pays émergents qui voient leurs monnaies baisser et qui sont forcés de suivre. La Banque d’Angleterre fait un peu d’excès de zèle, avec son nouveau gouverneur, Mac Carney – un ancien de Goldman Sachs. La Banque du Japon (avec Masaaki Shirakawa fait des excès tout court.

La Banque centrale européenne, avec Mario Draghi, aura la lourde tâche de faire entendre sa musique, car elle n’est pas sortie d’affaire. La zone euro souffre de la montée des taux longs et de la montée de l’euro, puisqu’elle suit la Fed, mais comment l’exprimer ? Elle s’inquiète d’une croissance faible qui ne permet pas de réduire comme prévu les déficits budgétaires, mais comment le dire ? La France, deuxième économie de la zone, n’est pas d’un grand appui. On le sait. Comment la soutenir… et la pousser ?

Mettre en file les banquiers centraux derrière Ben Bernanke ne résout rien. Ce n’est pas parce que la musique sera la même qu’elle aidera tout le monde. Il faut se préparer, en zone euro, à suivre la musique dominante, pas le choix, puis à faire entendre la nôtre, sans couac interne ni externe. Pour cela, il faut être plus forts et plus unis.