Attendre en France la reprise des autres est très dangereux. Pour sortir de la crise productive actuelle, il faut plus de profit et d'innovation, surtout pas attendre que les autres en sortent

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Modération salariale et dialogue économique et social : plus que jamais, voilà comment nous allons nous sortir d'affaire. Il ne s'agit pas d'"attendre la reprise", comme d'autres la pluie, au second semestre par exemple, ou plus tard, avec ce qui se passe aux Etats-Unis, en Chine, en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Car si nous ne faisons rien pour renforcer ici notre profitabilité et notre compétitivité, leur reprise ne sera pas la nôtre, au contraire. Elle se fera à notre détriment. Il faut donc se dire quelques vérités, au moment où on sait que la croissance promise par les autotités publiques ne sera pas au rendez-vous, comme la réduction du déficit budgétaire. Ce sont seulement nos efforts qui feront la différence et nous feront bénéficier de la vague qui monte.

D’accord, nous allons vraiment moins bien que prévu et que promis. Mais nos politiques nous disent aussitôt que nous irons mieux bientôt demain, grâce au cycle d’investissement qui repart et anime les États-Unis, la Chine ou l’Allemagne, plus nos efforts bien sûr. Alors, il faudrait attendre pour se laisser porter par la vague ? Ou bien se dire que ce n’est pas comme cela que les choses vont se passer, et aujourd’hui moins que jamais ?

Les autorités françaises reconnaissent que la croissance ne sera pas de 0,8 % cette année comme promis, mais à peine plus de 0 %, et que le déficit budgétaire ne sera pas de 3 % du PIB, comme si souvent répété, mais plutôt 3,7 ou 3,8 %. En même temps, ces mêmes autorités nous donnent des explications pour 2013 et des assurances pour 2014 : les deux doivent nous inquiéter.

Côté explications, on nous dit que la crise en France vient de la crise mondiale, de la crise européenne, et aussi, bien sûr, de l’héritage du précédent gouvernement. Côté assurances, on nous dit que 2014 ira mieux et que nous tiendrons nos objectifs, avec certes quelques économies dans la dépense publique, avec le fameux « choc de simplification ». Et pourquoi ? Parce que nous serons surtout portés par la reprise globale.

Cette démarche est dangereuse.

D’abord, la crise que nous vivons n’est pas seulement « financière et globale ». Elle est « financière et globale » parce que nous avons voulu cacher la réalité des pays industrialisées, dont la France. Ils perdaient pied, nous perdons pied, dans la concurrence mondiale. Face aux émergents, ils ont, nous avons, dopé à la dette nos entreprises, nos banques, nos ménages, nos États. Les subprimes, ces crédits faits à l’immobilier, aux États-Unis, à des populations insolvables ont marqué, par leur excès même, la fin de ce jeu. Depuis, les grandes économies essaient de repartir en se désendettant – au risque de beaucoup ralentir. Les États-Unis s’en sortent le mieux, en ayant à la fois désendetté leurs entreprises et augmenté leur profitabilité – mais ils ont baissé leurs taux d’intérêt à court et long terme, baissé le dollar, les salaires et le prix de l’énergie. Aujourd’hui, ils buttent sur la dette publique, mais au moins l’activité privée est repartie. La zone euro est en retard, parce que la dette privée et la dette publique continuent de peser ensemble, et surtout parce que nous n’avons pas pu activer les 5 leviers américains. Les taux courts sont (encore) hauts, les taux longs insupportables dans le sud, l’euro est trop fort, le prix de l’énergie aussi. Ce sont les salaires font donc l’essentiel de l’ajustement, surtout au Sud, au détriment de la situation économique et sociale des pays, au détriment des voisins (dont nous). Au total, la profitabilité n’est pas encore assez remontée. La zone euro est à moitié sortie de la crise financière, pas de la crise industrielle. Elle peut retomber dans la crise sociale, comme on le voit en Italie, en Espagne, au Portugal.

Ensuite, il faut reconnaître nos responsabilités françaises dans ce qui nous arrive. Voilà plus de trente ans que nous vivons en déficit budgétaire. Voilà plus de cinq ans que nous sommes en déficit extérieur. Voilà que nous laissons toujours croître les dépenses de santé, les retraites, sans vraie politique pour les réduire. Et voilà que nous avons augmenté les impôts des « riches », en oubliant qu’il s’agit en fait des cadres et des dirigeants d’entreprises du pays et de ses investisseurs. Voulant « réduire les inégalités », nous avons écrasé la volonté de croissance.

Donc, attendre la reprise « des autres » en zone euro, c’est attendre que « les autres » aient remis en état leurs entreprises, avec plus de profits, en ajustant leurs investissements, leur emploi et souvent leurs salaires – pour rebondir derrière eux. Mais cette reprise « des autres » se fait par les exportations, avec des prix plus agressifs pour des productions en milieu de gamme – notamment en zone euro. Pensons-nous pouvoir vendre plus de nos produits d’entrée et de moyenne gamme si nos coûts de production dépassent de plus en plus ceux des autres ? Pensons-nous, surtout, que nous aurons assez de capacité de redémarrage privé pour encaisser la réduction promise de nos dépenses publiques ?

La fameuse « reprise des autres » ne peut se faire qu’à notre détriment, si nous ne menons pas des politiques plus fortes d’économies budgétaires et, surtout, beaucoup plus nettes de restauration de la profitabilité privée. La modération salariale, dans le cadre d’une négociation plus riche avec les partenaires sociaux, est indispensable. Sinon, dans quelques mois, la désillusion économique sera grande, la réaction des marchés sans  complaisance, et que deviendra le débat social ? Nous devons avancer dans la flexibilité et la transparence. Autrement, attendre la reprise en France fait la reprise des autres, pas la nôtre.

Jean-Paul Betbèze

Président Betbeze Conseil SAS