Arrêtons de parler du taux de chômage : place au taux d’emploi !

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 Arrêtons de parler du taux de chômage : place au taux d’emploi !

« Mais pourquoi donc, est-ce que je ne dis pas que c’est essentiel ? » C’est peut-être ce que pense Jay Powell, le patron de la Banque centrale américaine (la Fed), à propos du taux d’emploi. Il voit en effet que le taux de chômage dans son pays atteint 3,5%, tandis qu’il est payé aussi pour obtenir 2% d’inflation, son obsession, et qu’il la constate à 8,5%. 3,5% pour le taux de chômage, aujourd’hui comme en février 2020, soit avant le Covid, c’est le plus bas niveau depuis 25 ans, sans remonter aux années 50. C’est donc très bien. A moins que ce ne soit un niveau trop bas, sachant que le taux d’inflation est lui quatre fois trop haut ! Donc il faudrait que moi, Jay Powell, je fasse baisser l’inflation, en disant que c’est devenu mon objectif majeur, en haussant par tranche de 0,75% mon taux d’intérêt à court terme, jusqu’à ce que désinflation s’ensuive, avec une certaine « rechômisation », parce que je ne parle pas assez de taux d’emploi ?

Oui, mais le Président de la Fed ne s’exprimera jamais aussi directement. Il expliquera plutôt que la diminution d’inflation qu’il recherche se fera par la décélération de la croissance, façon polie de parler d’une augmentation graduelle, limitée, du chômage, et surtout que c’est la seule façon de garantir la croissance de demain et d’après-demain, donc l’emploi non inflationniste.

Pourtant, dire « augmenter le taux d’emploi » résoudrait tout. Pourquoi donc Jay Powell ne le dit-il pas nettement ? Pourquoi ne pas dire que, sur les personnes âgées de 15 à 64 ans aux États-Unis, actuellement 62% travaillent, contre 67% en 2002. Au moins 5 millions de personnes sont donc sorties du marché du travail, à peu près le nombre de celles qui sont actuellement au chômage ! On pourrait donc penser, très mécaniquement, que si autant de personnes qu’il y a vingt ans étaient au travail aux États-Unis, le taux de chômage ne serait évidemment pas aussi faible, le marché du travail aussi tendu, les hausses de salaires aussi fortes, mais la croissance supérieure. Et ceci ne dit pas ce qui se passe à un niveau fin. Pourquoi donc, dans les services notamment, ces hausses de salaires n’attirent-elles pas plus de personnes pas, peu ou trop peu employées ? Ceci augmenterait leurs revenus, donc atténuerait certaines augmentations inflationnistes, et sans que Jay Powell n’ait à utiliser l’arme massive des taux d’intérêt, au risque de la récession.

En réalité, ce cher Jay Powell est mal outillé : il peut, plus ou moins, moduler la demande globale par les taux d’intérêt, mais le problème actuel est plutôt le manque de soignants, de serveurs, d’enseignants et d’informaticiens. Augmenter les enseignants ? Tous ou ceux dont les manques sont les plus flagrants, en mathématiques et sciences par exemple ? On voit le problème ! Augmenter les informaticiens ? Encore ? Ou en former plus, en mathématiques par exemple, ce qui prendra des années ? Pour les autres services, de soins ou de restauration, on parlera salaires d’abord. Normal.

Sommes-nous sortis d’affaire ? Non, car on découvre désormais que ces emplois méritent aussi plus de respect, plus de considération, après des années où l’on a entendu parler d’emplois subalternes, de « petits boulots ». Non, surtout, car il s’agit d’offrir plus de formation, notamment informatique, pour offrir de vraies carrières.

En fait, le Covid a révélé l’importance de ces emplois de services qui peuvent disparaître dans l’heure, sans remplacement. La baisse du taux d’emploi, aux États-Unis peut venir de la mécanisation et de l’informatisation, de la démographie et d’une vague de retraites, profitant des cours boursiers face à la crainte du Covid, d’un retrait aussi par rapport à une vie professionnelle qui aura perdu son attrait, hors le nécessaire salaire.

Et en France ? Le taux d’emploi y est aussi peu commenté, même s’il atteint 67,5%, ce qui est mieux que le 62,1% américain, mais moins bien que le 76,3% allemand, imputable à l’apprentissage et plus encore au travail des séniors, tous deux plus élevés outre-Rhin.

Alors, pourquoi ce silence sur le taux d’emploi aux États-Unis ? Parce qu’il faudrait accepter des salaires plus élevés et plus de formation dans des services souvent tenus par des Afro et des Latino-Américains. Et pourquoi en France ? Parce qu’il faudrait accepter plus d’apprentissage et une retraite plus tardive. Ne pas parler de taux d’emploi, c’est accepter une moindre croissance, ce qui revient cher. Chut !