Les candidats commencent à chiffrer leurs programmes et l’idée leur vient de consulter le pape de l’innovation.
Josef Aloïs Schumpeter : Quels progrès : me joindre ici !
Les candidats : Oui c’est le progrès, et c’est surtout que nous avons tant besoin de vous ! Nous sommes à un terrible carrefour, entre une pandémie qui n’arrête pas de changer, des innovations qui nous permettent de traiter plus d’informations que jamais, de produire toujours plus loin, parce que c’est moins cher… sauf que cette maudite pandémie bloque nos circuits d’approvisionnement ! Et voilà qu’arrive un réchauffement climatique qui nous pousse à fermer les mines que nous avons ici, puis nos centrales nucléaires, parce qu’elles seraient dangereuses, et ceci pour dépendre du gaz et du pétrole que nous n’avons pas et que nous sommes donc obligés d’importer.
Josef Aloïs Schumpeter : Voilà qui me paraît plus contradictoire que compliqué !
Les candidats : Et ce n’est pas fini. Nous sommes en pleine crise géopolitique, entre une Russie qui s’éveille et menace l’Europe, une Chine méconnaissable, sans oublier la Turquie et l’Iran qui veulent, au moins, nous ennuyer pour exister. Et voilà que la Russie nous rationne le gaz, dont le prix explose, tandis que l’Arabie ne veut pas pomper plus de pétrole, les deux pour se refaire ! Tout se ligue contre nous et nous n’osons rien dire à nos électeurs, à deux mois des élections !
Josef Aloïs Schumpeter : Mais pourquoi ne pas en parler ? Cela aiderait à faire les réformes et à faire accepter des changements indispensables pour s’adapter, puisque vous me dites vous-même que vous êtes en pleine révolution industrielle. Moi qui en parlais toujours, sans en avoir jamais vu une !
Les candidats : Parce que c’est pénible à expliquer et politiquement suicidaire. Nous préférons tous, de droite à gauche, augmenter les salaires que dire que la moitié des emplois est condamnée si nous ne changeons pas.
Josef Aloïs Schumpeter : Mais c’est faire disparaître plus vite les emplois anciens et peu qualifiés ! C’est obligatoire de changer, c’est toujours ainsi qu’on avance. Ma « création destructrice » !
Les candidats : Mais c’est l’inverse qu’on dit de vous : vous seriez l’inventeur de la « destruction créatrice » !
Josef Aloïs Schumpeter : Mais c’est idiot : détruire ne crée rien ! J’ai parlé au contraire de « création destructrice », « creative destruction » en anglais. L’inverse !
Les candidats : Mais alors que nous proposez-vous ?
Josef Aloïs Schumpeter : Dites la vérité. D’abord, l’extension rapide de la pandémie est aussi la preuve des progrès de l’économie mondiale, plus reliée que jamais, c’est le revers de la médaille. Ensuite, vous avez été capable de réagir plus vite que jamais, de trouver des vaccins et de les administrer rapidement : les innovations ont joué ! Enfin, vous oubliez l’essentiel : c’est la révolution industrielle qui est partout à l’œuvre dans le monde, au-delà de la pandémie. C’est elle que l’on retrouve dans le succès de la Chine et, peut-être aussi, dans les difficultés des États-Unis, qui me surprennent moins.
Les candidats : Quoi ?
Josef Aloïs Schumpeter : Ce n’est pas parce que j’aime les entrepreneurs qui innovent que j’aime le capitalisme. Mes derniers mots étaient clairs, avant d’arriver ici : Marx s’est trompé dans son pronostic sur les modalités d’effondrement de la société capitaliste – mais il n’a pas eu tort de prédire qu’elle s’effondrerait. C’est la bureaucratie des monopoles qui l’étouffera. Et je crois moins encore que le socialisme puisse naviguer sur les eaux changeantes de l’innovation.
Les candidats : Les Verts ?
Josef Aloïs Schumpeter : Encore moins ! Je parlais d’eux, quand je les appelais « stagnationnistes ». Ils se trompent dans les raisons pour lesquelles le capitalisme doit faire place à la stagnation. Mais ils auront raison dans leur pronostic de stagnation… « si le secteur public leur prête suffisamment main-forte ». Je me cite : de l’humour ? Pas sûr.
Les candidats : Bref le capitalisme est condamné par les monopoles qu’il engendre, le socialisme par sa rigidité et les Verts mènent à la stagnation, sous le poids des fonctionnaires qu’ils embaucheront !
Josef Aloïs Schumpeter : Oui. Mais vous oubliez l’essentiel : les créatifs, eux qui ont la passion de changer, de bousculer les structures mortes, pour avancer.
Les candidats : Oui. Mais nous, on n’oublie pas qu’il nous faut une majorité stable.