Yannick Jadot consulte John Stuart-Mill

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 Yannick Jadot consulte John Stuart-Mill

Yannick Jadot (leader des Verts) : Quel honneur vous me faites, de m’accorder de votre temps !

John Stuart-Mill (le dernier Classique, après Smith, Malthus et Ricardo) : Du temps, j’en ai ! Merci de vous souvenir de moi, après toutes ces années. Je regarde comment évoluent mes idées, depuis mon caveau avignonnais. Comment puis-je vous aider ?

 

Y J : Vous êtes, pour moi, le premier économiste-écologiste. Je me souviens de mes cours à l’Université Dauphine ! Et j’ai toujours apprécié votre « état stationnaire ».

J S-M : Ah oui ! Il répondait à la question « à quoi tendons-nous ? ». Je disais à l’époque : « je ne suis pas enchanté de l’idéal de vie que nous présentent ceux qui croient que l’état normal de l’homme est de lutter sans fin pour se tirer d’affaire ». Regardez les États-Unis d’Amérique, « ils présentent des signes d’abondance, mais le résultat de tant d’avantages, c’est que la vie de tout un sexe est employée à courir après les dollars, et la vie de l’autre à élever des chasseurs de dollars » : ça n’a pas vieilli !

 

Y J : C’est pire ! Mon problème c’est que j’ai du mal à « vendre » votre « état stationnaire », cet état d’équilibre, alors qu’ici on oppose croissance à décroissance.

J S-M : C’est pourtant simple : il y a toujours des progrès économiques, avec la montée de l’activité humaine et des capitaux employés, donc plus de croissance. Bien sûr aussi, il ne faut pas être naïf : « il importe, pour le salut de son indépendance, qu’un pays ne reste pas trop en arrière de ses voisins ». Mais tous ces progrès ne valent qu’aussi longtemps que la population n’augmente pas trop.

 

Y J : Mais elle augmentera, pendant cinquante ans au moins ! Elle va continuer à vieillir et c’est le problème. Impossible donc de demander à mes électeurs, pardon : aux Français, pour éviter la famine annoncée par Malthus une « continence sexuelle » ou, avec vous, une « modération » ! Il faut  plus de Français !

J S-M : Alors « limitez la somme que chacun peut recevoir par succession ou donation à ce qui lui suffit pour avoir une indépendance modérée. Alors vous aurez des gens relativement bien payés, peu de fortunes énormes, sauf celles gagnées au cours d’une vie, plus du tout de travaux rudes et beaucoup de temps pour entretenir corps et esprit ». Vous n’avez pas le choix !

 

Y J : Limiter l’héritage, faire du sport et écouter France culture ! Pas sûr d’être élu, avec ce programme !

J S-M : Seriez-vous candidat ?

 

Y J : Non bien sûr, je pense à mon parti ! Il faut de la croissance, donc de la formation pour maîtriser et appliquer les nouvelles technologies, donc du profit. Mais impossible de parler de décroissance : c’est le chômage et on se fait manger par les concurrents, comme vous me le dites. Mais je ne veux pas trop de croissance.

J S-M : Là aussi, je l’ai écrit : « il n’y aurait pas grand plaisir à un monde où tout serait mis en culture et où tous les oiseaux qui ne seraient pas apprivoisés pour l’usage de l’homme seraient exterminés ».

 

Y J : Me voilà contre les paysans et les chasseurs, maintenant !

J S-M : Il faudra annoncer à ces Français mieux éduqués, plus aisés, qu’ils ne se tueront pas à la tâche pour s’enrichir et travailleront moins ! Il n’y a que cette voie !

 

Y J : Les 30 heures ! Mais nous avons un budget en déficit depuis des décennies, nous sommes surendettés, déficitaires en commerce extérieur, avec 8% de chômeurs. Si nous travaillons encore moins, nous importerons plus et les robots feront le reste !

J S-M : Mais l’état stationnaire n’est pas l’immobilité : « il y aura plus de temps pour se cultiver et améliorer l’art de vivre ». Puis les désirs seront alignés en Europe quand il n’y aura pas grande raison de faire une fortune, qui sera ensuite distribuée. Je l’ai aussi écrit.

 

Y J : Mais aux États-Unis quelques multimilliardaires seulement, donnent une part de leur fortune. Et tant qu’ils vivent, ils se battent entre eux, plus contre les Chinois, maintenant.

J S-M : J’ai vu. Vous savez, Smith ou Ricardo ont prédit l’état stationnaire, en pleine révolution industrielle ! Moi aussi, pas par erreur comme eux, mais parce que je le voulais !

 

Y J : Mais nous allons vers 1% de croissance, 1% d’inflation et 1% d’augmentation de salaire : l’état stationnaire du pouvoir d’achat ! La révolution sociale !

J S-M : Il faut ralentir le progrès !

 

Y J : Mais, avec la 5G, je ne peux pas répéter un programme qui a 150 ans d’âge : ça va se voir !

J S-M : Il n’y en a pas d’autre ! Vous avez raison de n’être pas candidat !