Y a-t-il fatigue démocratique en France ?

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 Y a-t-il fatigue démocratique en France ?

Oui, si on lit les chiffres d’abstention aux dernières élections en France, notamment aux deux derniers tours pour entrer à la Chambre des députés. Ils sont parlants : 26,3% d’abstention au premier tour de la présidentielle, 28,1% au second, soit le taux le plus haut depuis 1969, pour l’élection de Georges Pompidou. Puis les choses se détériorent encore pour les députés : 52,9% d’abstention au premier tour, 53,7% au second. Derrière cette désaffection, on trouve essentiellement les jeunes. En effet, selon le sondage IPSOS des 6 au 9 avril 2022, 42% des 18-24 ans et 46% des 25-34 ne comptaient pas se rendre aux urnes au premier tour de l’élection présidentielle. Ils seront 69% au premier tour des élections législatives du 12 juin, et 71% au second !

Ce qui devait arriver, arrive : le Président est réélu, mais…. Réélire : une habitude perdue et retrouvée, diront les uns, mais de justesse, diront les autres. Car ce Président réélu pour « gouverner autrement », selon ses dires mais sans plus de précision, n’aura pas de majorité absolue. Il devra donc nouer des alliances. S’ouvre alors une longue série d’explications sur ce qui s’est passé et de supputations sur ce qui pourrait advenir.

Oui, il y a fatigue démocratique… mais il faut dire ce que l’on veut. C’est, nous dit-on, parce que le régime dit présidentiel le serait trop, ou alors parce que le Président ne s’est pas assez impliqué dans les campagnes, et seulement à la fin, bien tard. Trop ou trop peu ? Il faudrait un Président qui préside, sans trop, mais plus près du terrain, au jour le jour. Allez donc comprendre.

Oui, il y a fatigue démocratique… en apparence au moins. Car il s’agirait d’un système jugé daté, pas assez à l’écoute du peuple et de ses souffrances pour les uns, ou pas assez dédié à la défense de la nation, sinon de la patrie, pour les autres. Allez donc savoir.

Oui, il y a une sorte de fatigue, mais parce que les choix actuels ne seraient plus à l’échelle des problèmes ou du temps. Plus à l’échelle des problèmes, quand on voit ce qui se passe en Ukraine avec la Russie, entre Chine et États-Unis, ou encore avec le Covid. Plus à l’échelle du temps, avec ces jeunes inquiets des dérèglements climatiques. Ils comparent les réchauffements prévus, avec leurs lots de sécheresses, à la durée du quinquennat. Tout est global en politique, et tout se détériore. Tout est à long et très long terme, concernera les enfants de nos enfants si on ne fait rien, et rien ne se passe en dépit des calculs, des faits, des alarmes et des promesses ! Les pays émergents demandent aux pays développés de faire des efforts. Ils disent qu’ils le peuvent, eux, tout en pensant (très fort) que ce réchauffement, dont ils souffrent le plus, est la conséquence des siècles de croissance et de consommation de charbon qui ont permis aux « riches » de le devenir. Et voilà qu’avec la guerre d’Ukraine, l’Allemagne va brûler plus de charbon, nous aussi ! A quoi bon voter alors, et pour qui ?

Oui, il y a fatigue, mais plutôt la fin d’un rêve et le retour, pénible, à la réalité. 2017, avec le doublé Macron à l’Élysée et au Palais Bourbon, fut une surprise, entre des systèmes soudainement jugés dépassés, face au rêve d’une start up nation. Mais les Gilets jaunes ont brusquement montré la réalité d’une France avec moins d’écoles, de médecins et d’usines, à qui on demandait de payer plus cher son essence pour des raisons écologiques, quand il s’agissait d’amener leurs enfants à l’école ou de se rendre à leur travail, souvent loin, précaire et mal payé. Les Gilets jaunes ont fait comprendre à tous que le ruissellement prendrait plus de temps que rêvé, et surtout qu’il ne remontait pas sans beaucoup d’aides ! Quant aux jeunes qui ont voté LFI, ils ont tellement voulu montrer leur rage, leur insoumission, sauf peut-être à leur chef ou à une religion, qu’il semble difficile d’attendre d’eux des négociations et des compromis. Allons-nous les voir, et de quel côté, avancer avec d’autres ?

Oui, il y a fatigue, mais inutile de trop parler du « merveilleux esprit politique des Français ». A force de combiner les « tout sauf », Macron, Le Pen ou Mélenchon, nous avons cette somme d’incompatibilités. Jusqu’à ce qu’émergent de nouvelles alliances pour peser dans ce monde, en s’unissant plus ? Allons-nous choisir ?

Oui, il y a fatigue, car la situation est plus compliquée et risquée que jamais. La démocratie s’use, surtout si on en abuse. Mais on le sait souvent trop tard.