Vox Populi, vox Diaboli ?

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 Vox Populi, vox Diaboli ?

Mais non ! C’est : Vox Populi, Vox Dei ! Comment osez-vous, non seulement déformer mais contredire, cette maxime qui nous dit que la voix du peuple est celle de Dieu, et doit donc être obéie ! La voix du diable, c’est l’inverse. C’est celle de « celui qui divise », car ce diable de mot nous vient des Grecs, qui s’y connaissaient !

Mais quand même ! Le Brexit, ce Référendum voté à 52% contre 48%, ce serait la voix de Dieu ? Un Dieu qui n’avait pas vu les problèmes de la frontière irlandaise ? Un Dieu manipulé par les Russes ? Et serait divine l’élection de Donald Trump, élu par les Grands électeurs des différents états (304 contre 227 à Hillary Clinton), mais battu de 3 millions de voix (63 contre 66), par le vote populaire ? Dieu parle-t-il quand sa voix est majoritaire dans le peuple, même de peu, ou, comme avec Trump, de deux manières, directes et indirectes, qui peuvent se contredire ? Que se passe-t-il quand les manipulations et les fake news fleurissent, toujours plus fréquentes et mieux faites, reprises en boucle par des médias ? Que faire quand viennent ces breaking news qui interrompent les programmes et surgissent dans nos ordinateurs, même si le temps manque, pour les vérifier ?

Vox populi, vox Diaboli alors ? Sans aller jusque-là, les Grecs ont vite douté de ce tribunal populaire qui condamna Socrate à la cigüe. L’Eglise, quand elle s’est étoffée, s’est vite éloignée de ses pratiques initiales, où le consensus des premiers fidèles suffisait à prendre les décisions majeures. Et, depuis le début, les politiques, et surtout leurs conseillers, ont toujours été vent debout contre ces consultations directes. Elles faisaient du Prince le jouet des manipulations et menait ses conseillers au chômage.

Ainsi, première référence connue dans l’histoire écrite, Alcuino de York met-il Charlemagne en garde contre la célèbre maxime : « Vous ne devriez pas écouter ceux qui disent qu’habituellement la voix du peuple est celle de Dieu, car la débauche du vulgaire est toujours proche de la folie » ! Depuis lors, sans aller jusqu’à des jugements (officiels) aussi tranchés sur le peuple, de nombreuses études se demandent ce que « peuple » veut exactement dire. Elles s’interrogent sur la complexité croissante des problèmes à traiter, les contradictions à résoudre, leurs ramifications des questions dans l’espace et plus encore dans le temps, donc sur la capacité du peuple, même formé et informé, à pouvoir y répondre. Mieux que les élus du peuple ?

Faut-il ainsi demander directement au « peuple » s’il faut moins d’impôts et de services publics, ou le contraire ? Comment et à qui faire payer les premiers, comment gérer les seconds ? Faut-il lui demander s’il faut réduire le déficit et la dette publics, et comment ? Faut-il fermer les centrales nucléaires pour développer les véhicules électriques, et comment les recharger ? Interdire le Glyphosate et aider les paysans – et qui payera ? Protéger les brebis et vouloir plus de loups ? Faut-il équilibrer les retraites à 10, 20, 30 ans ? Que faire de la dette de la SNCF ?

C’est alors que la voix du peuple devient diabolique. Si le peuple dit sa réponse, même immédiate, partielle, même sans répondre à la question comme ce fut le cas pour le non à la Constitution européenne fin mai 2005 ou sous le coup d’émotions, comme pour le oui au Brexit en juin 2016, il s’impose aux politiques. Si la voix du peuple est la voix de Dieu, reconnaissons qu’elle a le singulier avantage, en répondant par oui ou non, de laisser aux politiques le seul choix des moyens. Au moins, ils savent ce qu’ils doivent obtenir !

C’est bien pourquoi, pour ne pas indisposer Dieu, ils évitent de l’interroger trop souvent. Le Référendum d’Initiative Populaire (RIP) que veulent la France Insoumise et les « gilets jaunes » est fait pour que les multiples « voix du peuple » empêchent toute action politique, donc toute voie du peuple ! Ce sera non ! Si le politique veut avancer, il doit poser des questions aussi limitées que possible. Les municipales sont municipales, pas nationales, tout comme les régionales, même si « le peuple » veut toujours envoyer un message (négatif bien sûr) à Macron, quand il vote pour le maire de Brive ou de Tourcoing !

Mais, si la voix de Dieu peut être diabolique, pourquoi ne pas mettre le Diable au service de Dieu ! Pourquoi pas un référendum qui demanderait « Faut-il équilibrer le budget dans les dix ans qui viennent » ou « Faut-il équilibrer les retraites en 2040 ? ». Diable !