Vous avez dit : « économie sociale de marché » pour l’Europe ?

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Oui j’ai bien dit : « économie sociale de marché » (Soziale Marktwirtschaft). L’expression est un peu compliquée, je vous l’accorde. Mais elle dit ce dont il s’agit. Du côté de l’économie de marché, c’est accepter les lois de la concurrence et de la nécessité du changement. Du côté de l’économie sociale, c’est prévoir, préparer et atténuer autant que possible les changements et chocs sociaux qu’entraîne l’économie, précisément pour les mener.

 Vous avez dit : « économie sociale de marché » pour l’Europe ?

L’économie sociale de marché, c’est chercher la meilleure combinaison entre deux univers des relations humaines : les relations économiques et les relations sociales. C’est le social, à renforcer en permanence, qui permet d’entretenir la dynamique économique, en particulier dans nos (vieux) pays industrialisés.

Mais alors, l’Europe est-elle maso ? Pourquoi ne pas parler davantage de ce concept, de « son » concept ? Voilà un outil génial pour expliquer en interne sa démarche et, en externe, sa différence par rapport aux Etats-Unis (et aux pays de logique anglo-saxonne). Voilà pour expliquer les conditions, compliquées, de son expansion. Les critiques de tous bord défigurent l’Europe. Elle ne réagit pas, à quelques semaines des élections européennes, au risque de faire monter les euroscepticismes et les populismes de tous bords.

Et pourtant la stratégie européenne marche, à condition bien sûr de faire les efforts économiques et sociaux qu’elle implique. On le voit avec l’Allemagne, avec la vraie discussion qu’elle demande, au sein de l’entreprise, sur ses choix et le financement de sa croissance. On le voit avec la façon dont les pays du Sud se remettent en selle après avoir beaucoup souffert pour corriger leurs erreurs et grâce au soutien massif des autres membres de la famille européenne. On devra le voir dans cette Europe soumise à la concurrence internationale qui doit peser plus dans les échanges et les accords de coopération, pour ne pas y perdre.

Ce silence de l’Europe sur sa stratégie est d’autant plus dangereux que l’« économie sociale de marché » figure dans ses textes fondateurs. On lit dans le Traité de Lisbonne (13 décembre 2007) : « L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ». Cette  doctrine vient de son histoire la plus ancienne, pas seulement de l’Allemagne d’après-guerre. Elle remonte aux villes franches et aux organisations fédérales du moyen-âge, comme à la tradition sociale de l’Eglise catholique. Elle permet aussi d’affronter la modernité. Mais c’est un message qu’elle ne met pas assez en avant, en Europe et hors d’Europe, pour marquer son ambition et sa différence.

Rien à voir avec les Etats-Unis où nous entendons en permanence, de la bouche de ses responsables économiques et politiques, qu’ils sont « une terre d’opportunités ». Ceci dit bien l’origine du « nouveau monde », avec ses risques et la volonté de conquête de ses pionniers. Aux Etats-Unis on essaye, encore et encore. L’échec n’est pas la catastrophe. Au contraire, il pousse à tenter encore. C’est une économie de marché, avec ses hauts et ses bas, ses fortunes et ses infortunes, avec sa dureté.

Par différence, l’Europe de l’« économie sociale de marché » ose et répare. Elle entend combiner la force de l’économie libérale avec la résilience des sociétés complexes, diverses et anciennes. Il faut expliquer et s’adapter pour faire évoluer, mais sans (trop) heurter. C’est ce qu’on lui reproche quand elle n’agit pas assez fort pour empêcher les bulles immobilières en Espagne ou en Irlande, quand elle n’est pas plus directe pour freiner assez tôt le déficit budgétaire et la montée de la dette en Italie, au Portugal ou en France.

Parce qu’elle est complexe et humaine, la doctrine de « l’économie sociale de marché » est perfectible. Elle doit  toujours être testée et renforcée, avec des structures plus fortes, des économies plus réactives, des populations mieux formées.

Ajoutons que l’économie sociale de marché en Europe, notamment en zone euro, est sortie grandie de l’épreuve de la crise. Reste à mettre davantage en œuvre ce qu’elle implique, en meilleure connaissance de cause. Rien ne remplace le courage des dirigeants, sinon la conscience des peuples.