Une question : que sont nos « fleurons » devenus, pour reprendre le mot fleuri d’Arnaud Montebourg ? Combien seront-ils bientôt ? 40, 30, 20 ? Alstom pourrait devenir américano-allemande, Lafarge est suisse, Publicis ne devrait pas devenir américain mais qui sait, après ArcelorMittal au Luxembourg, EADS financièrement installé aux Pays-Bas avec STMicroelectronics et Usinor disparu au Canada. Que se passe-t-il dans notre capitalisme français ?
Un fait : nous sommes moins « chez nous » et un tout petit peu plus ailleurs. Les non-Français détiennent 40 % de la capitalisation boursière française, autant que les non-Espagnols en Espagne ou les non-Allemands en Allemagne. Mais ils ne le savent pas. Quand une entreprise française « passe sous un autre pavillon », sept Français sur dix sont mécontents. Mais dix Français sur dix sont fiers quand une entreprise française « cravate » une entreprise étrangère ! Il faudra pourtant s’y faire : partout les grandes entreprises se mondialisent par leur activité et par leur capital. Ce n’est pas un « malheur français » mais une tendance partout répandue. Et qui n’est pas finie. En France cependant le processus a été plus brutal, parce que politique. La part des non-Français était de 10 % dans la capitalisation boursière jusqu’au la fin des années 1980. Elle a augmenté de 30 points depuis, 10 venant des ménages et 20 des agents non financiers, banques et assurances. Ce saut s’explique par les privatisations de 1986 puis de 93-96 qui suivent les nationalisations de 1981, des privatisations proposées à des Français qui ne voulaient plus d’actions !
Une double vérité : nous sommes sous-rentables et sans fonds de pension. Nous avons donc la rentabilité et les fonds de pension des autres. Le capitalisme français, sous capitalisé parce que sous rentable et sans actionnaire de long terme, ne pouvait résister longtemps aux besoins nécessaires à qui veut être mondial. Les « noyaux durs » de Balladur ont montré leurs limites : les entrelacs privé-public sont complexes, les groupes privés concentrent désormais leurs investissements (Vivendi, Bouygues).
Un début : quand la reprise est lente et la liquidité abonde, c’est le temps des fusions acquisitions. Les concentrations vont se développer partout, avant que la reprise économique ne devienne plus forte et surtout que les taux longs américains ne remontent, en 2015. Et les banques ne veulent plus détenir de titres et les compagnies d’assurances ne peuvent plus posséder d’actions, régulation prudentielle oblige ! Ce sera donc les autres.
Un effet fiscal : les grandes multinationales, notamment américaines, sont très liquides. Les Google et autres Apple parquent leur liquidité hors des Etats-Unis, ne voulant pas les rapatrier pour qu’elles soient taxées. Elles découvrent de grandes entreprises européennes pas si chères, avec le traitement fiscal offert par le Luxembourg ou les Pays-Bas. C’est maintenant.
Une mauvaise série : 75, 36, 35 sont les trois chiffres maléfiques français. 75 % : les investisseurs extérieurs ont l’idée que la fiscalité est à 75 % en France pour les hauts revenus, ce qui dissuade les cadres dirigeants de s’y installer. Personne n’entend que ceci concerne les revenus au-delà de 1 million d’euros en tranche et ne devrait pas durer : le symbole pour être Président se paie cher. 36 % : c’est le taux d’impôt sur les sociétés contre 24 % en zone euro, soit 33 % plus 3 % de contribution exceptionnelle, un autre symbole pour réduire le déficit budgétaire qui se paye cher. Il n’en faut pas plus pour détourner les investisseurs avant qu’on leur explique que ce taux va baisser à 28 % en 2020, avec le Plan Valls. 35, c’est 35 heures bien sûr, le temps maximal que les étrangers s’imaginent qu’on travaille en France. En vérité la durée hebdomadaire en France est de 39,5 heures pour les salariés, contre 40,7 heures en Allemagne, et 52,7 heures en France pour les non-salariés, contre 50,6 heures en Allemagne ! Les erreurs de politique économique et pire encore de message ont la vie dure.
Une relève qui n’est pas là. Les entreprises cotées qui suivent le Cac 40 sont nettement plus petites : 6 milliards d’euros de capitalisation de la 40ème à la 50ème, 5 milliards de la 60ème à la 70ème. La France se reconstruira par les grandes entreprises à garder et attirer et les ETI à soutenir. C’est fiscal, social, politique et symbolique, mais cette fois il faut agir dans le bon sens ! Avant le Cac 10.