Un métier en or : rédacteur de sondages

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 Un métier en or : rédacteur de sondages

Pour lutter contre le chômage, voici le contenu d’une formation rapide pour entrer dans une profession qui ne cesse de recruter, au vu des travaux qu’elle publie sans arrêt. Nous sommes aujourd’hui dans une salle de formation, avec un groupe de stagiaires qui entourent leur formateur.

 

Le formateur : Bonjour, nous allons apprendre un métier passionnant, et en un jour ! Vous avez vu la dernière analyse de notre belle profession, c’est la synthèse d’un sondage Ifop pour Politis : « 68% des Français veulent une réforme des retraites qui ramène l’âge de départ à 60 ans ». Qu’en pensez-vous ?

Les stagiaires : C’est le contraire qui serait étonnant ! On suppose que ce résultat est surtout lié à la proximité politique des sondés.

Le formateur : Oui mais pas seulement, loin s’en faut, mauvais esprits ! Certes, 90% des Insoumis et 84% du Rassemblement national veulent la retraite à 60 ans, mais aussi, quand même, 44% des Macronistes et 43% de proches des Républicains.

Un(e) stagiaire : Donc on montre, avec cette réponse, plus encore que des proximités entre les extrêmes politiques affichés, un refus global très partagé. Et les vieux ?

Le formateur : En moyenne, 75% des 35-64 ans sont « plutôt favorables » à la retraite à 60 ans, contre 47% de ceux qui ont 65 ans et plus.

Un(e) stagiaire : Les vieux doivent plus se demander comment on les paiera !

Le formateur : Attention : ne critiquez pas votre futur métier. Personne ne pose d’ailleurs vos questions, ni ne cherche les résultats détaillés des sondages. Le titre de presse suffit.

Les stagiaires : Suffit pour quoi ?

Le formateur : Pour le buzz.

Les stagiaires : Et contre qui ?

Le formateur : Devinez !

Les stagiaires : Bien, mais peut-on poser des questions plus compliquées ?

Le formateur : Attention : jamais de question où on prend l’enquêté pour un imbécile. Par exemple : « êtes-vous favorable à partir plus tôt en retraite et toucher plus de pension ? ». Il ne faut donc poser que le début de la phrase. Jamais non plus de question « impliquante ». Par exemple : « pensez-vous que le système de retraite doit être équilibré ? ». Surtout pas de calcul. Par exemple : « selon vous, à quel âge devrions-nous partir en retraite ? ».

Les stagiaires :  Autrement dit, ce qui marche est simple et contre le gouvernement ? Mais quand il change ?

Le formateur : Attention encore : ce changement est largement de notre fait ! Nous  avons beaucoup œuvré pour faire monter Mélenchon et pour éviter un remake du duel Macron Le Pen : raté. Mais nous avons réussi ensuite, pour que Macron n’ait pas de majorité absolue.

Un(e) stagiaire : Et c’est la pagaille !

Le formateur : Sans pagaille, il n’y a pas de sondage. C’est parce que les gens sont politiquement inquiets que les prix montent et que les patrons se demandent si leurs clients vont consommer moins, plus de pâtes, regarder plus les prix, acheter davantage de marques de distributeurs ou aller plus dans les chaînes hard discount.

Les stagiaires : Donc, il faut inquiéter pour sonder ?

Le formateur : Au fond oui, à condition de ne jamais le dire. En plus, c’est la seule façon de révéler ce qu’il y a, au fond dans les esprits.

Un(e) stagiaire : Donc, « est-ce que vous pensez que la Nupes va exploser ? » c’est…

Le formateur :  Orienté. Insuffisant. Angoissant. Impliquant.

Un(e) stagiaire : Et alors : « est-ce que vous pensez que les Républicains, avec Ciotti, vont exploser ? » ou bien : « selon vous, Macron va-t-il commencer à préparer son successeur ou changer la Constitution pour un troisième mandat ? ».

Le formateur :  Mieux, mais trop compliqué. Et jamais de technique, de guerre, de politique internationale.

Un(e) stagiaire : « Est-ce que vous pensez que les prix vont encore monter ? », « faut-il donner un coup de pouce au SMIC ? », « faut-il donner un coup de pouce au Livret A ? »

Le formateur :  Mieux, mais sans jamais de question sur qui gagne ou qui perd, sur les effets sur l’emploi de la hausse du SMIC dans les petites boutiques ou de la hausse du taux du Livret A sur les taux d’intérêt au logement. Nous sommes dans le monde des plaintes et du désir, pas dans celui de la peine à choisir et moins encore des conséquences des choix.

Les stagiaires : Au fond, les sondages, c’est une mesure du taux de populisme des Français.

Le formateur :  Oui à condition de ne pas le dire, sachant que c’est ce qui fait que les gens acceptent de nous répondre, donc ce qui fait que les entreprises interprètent nos messages… et nous financent !