Un Haut-Commissaire au Plan en France ?

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 Un Haut-Commissaire au Plan en France ?

L’ « ardente obligation » nous revient ! 

Nous revoilà le 3 janvier 1946 avec Jean Monnet, pour rebâtir le pays détruit par la guerre et discuter avec les partenaires sociaux. Il disait qu’il y fallait beaucoup de « salive ». Aujourd’hui, le « gaulliste social » et nouveau Premier ministre veut « recréer des outils de prospective ». Et François Bayrou ne serait pas, dit-on, hostile à devenir Haut-Commissaire, à condition, bien sûr, d’être rattaché au Président. Sous cette condition, le libéral-béarnais veut bien remonter à la capitale : « Paris vaut bien un Plan » ! 

 

Mais cette démarche, même sympathique, est fausse. 

Nous ne venons pas de subir une guerre qui a détruit usines et infrastructures, mais un virus qui les a rendues obsolètes. En apparence, rien n’a changé. Mais rien ne peut repartir, sans changer. Pourtant, ce virus ne « voulait » pas nous détruire. Il ne « savait » que s’étendre, comme tous ceux de son espèce ! Mais, ce faisant, il a montré notre manque de vigilance et de traitement efficace des informations, nous qui pensions tout savoir tout le temps. Il a montré notre crédulité, nos faiblesses, notre absence de coordination en France, en Europe, partout. Et surtout, nos peurs.

En même temps, ce virus a montré à quel point ce monde a muté : la Chine s’y trouve au moins au même niveau technologique que les États-Unis, souvent devant nous. Elle a bien plus d’amis, ou d’obligés, que les États-Unis ou la zone euro, en Asie bien sûr, en Afrique de plus en plus. Subitement, nous avons découvert que nous ne surveillions plus nos stocks de masques, que nous ne savions plus faire ni respirateurs, ni vaccins. En théorie oui, mais pas en pratique, faute de machines et d’ouvriers qualifiés, comme on le voit aussi pour construire l’EPR de Flamanville. Des chercheurs nous en avons, des praticiens nous en manquons, est-ce la combinaison gagnante ?

 

Il ne s’agit pas de « relancer », mais de lancer autrement. 

Pas seulement de reconstruire des usines avec des chaînes moins étirées, plus simples et plus sûres, pour fabriquer des automobiles « comme avant ». En effet, ces voitures vont-elles rouler avec des batteries plus en avance que celles de Tesla ou à l’hydrogène ? Et avec quelle « électricité verte » ? Et pour la santé, le rail, l’agriculture, que faut-il, pour réussir ? En même temps, il faudra savoir comment améliorer et sécuriser nos systèmes d’information et de communication, car ce sont eux qui feront la différence, dans cette révolution technologique qui s’accélère. Surtout, il faudra combiner les savoirs techniques avec les possibilités offertes par l’Intelligence artificielle, pour traiter les données, dépister demandes et clients futurs, en liaison avec les entreprises et pôles de compétitivité français et européens. 

Aujourd’hui, en plein COVID-19, il ne s’agit plus de planification, mais de technologies incertaines dans des géopolitiques complexes. Il s’agit d’organiser des coopérations et de renforcer des sécurités dans un cadre européen pour gagner en compétitivité en refaisant les chaînes de production et de distribution qui gagneront. Comment, si nous ne renforçons pas nos structures logistiques et ne travaillons pas davantage ensemble, entre pays européens, pour créer, produire et transporter pour servir le marché intérieur et exporter ? Comment avancer sans « champions mondiaux » ici ? Comment peser face aux menaces et aux chantages ? Il ne s’agit plus de protéger une « concurrence libre et non faussée » entre nous, quand nous sommes concurrencés de l’extérieur, États-Unis puis Chine, au point de céder puis disparaître.

 

Le COVID-19 a tout chamboulé et révélé, mais nous gardons les mêmes réflexes !

Parler de Plan pour rebaptiser France Stratégie, quand nous avons déjà un Conseil d’Analyse Economique, des instances spécialisées dans chaque ministère et grande entreprise, plus des capacités européennes et un groupe en charge de « préparer l’avenir » avec Jean Tirole, notre Nobel d’économie, à la demande du Président ? Plus on fabrique de prévisions, plus on a de brouillard, dans un monde qui n’en manque pas. 

Schumpeter nous a parlé de Création-Destructrice, cette création qui dessine la croissance en détruisant le passé. Aujourd’hui nous avons la Destruction, mais sans aucune idée des Créations qu’elle amène. L’« ardente volonté » est donc indispensable, pas pour s’épuiser dans des débats, comme avec la Convention Citoyenne sur le Climat, mais pour oser avancer ensemble.