Un fonds de souveraineté pour l’Europe ?

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 Un fonds de souveraineté pour l’Europe ?

D’abord, attention aux mots : quand l’Europe pense à un « fonds de souveraineté », c’est pour… en regagner.

L’épidémie de Covid lui a ainsi « révélé » qu’elle ne produisait plus de médicaments de base, ni ne savait faire de masque. Elle passait commande à la Chine et à l’Inde. La guerre en Ukraine lui a « montré » qu’elle avait des armes très modernes, mais pas assez, et qu’il lui fallait aussi beaucoup d’armes traditionnelles, qu’on pensait dater de la Seconde guerre mondiale. Ceci sans oublier le gaz et le pétrole, qu’il n’est pas trop prudent d’acheter à des fournisseurs douteux. L’Europe va donc puiser dans ses stocks d’armes et de munitions, demander aux États-Unis ce qu’ils peuvent lui fournir et surtout accélérer le rythme de production de ses usines.

La tension entre États-Unis et Chine lui a fait « voir » que la Chine contribuait beaucoup aux dérèglements climatiques, plus que les Etats-Unis. Mais avec une double différence : d’abord la Chine est le grand producteur mondial de véhicules électriques, certes rechargés par de l’électricité venant encore du charbon, mais de plus en plus de l’atome, du vent et du soleil, tandis que les États-Unis subventionnent de plus en plus une réindustrialisation moins polluante. La course est partout.

Et partout, il faudra des milliards de dollars et d’euros. Ils viendront de fonds souverains déjà existants. Tel est le cas pour le plus important, celui du Japon, avec ces 1400 milliards de dollars : il doit payer ses nombreux retraités. Tel est le cas de la Norvège, avec ses 1300 milliards, venus de ses ventes de pétrole et de gaz, pour aider à… les remplacer. Vient, ou plutôt précède (en valeur) la Chine, avec ses deux fonds qui totalisent 2400 milliards. Suivent Abou Dabi (1000 milliards), Koweït et Arabie saoudite (pour 750 milliards chaque), puis 700 pour Singapour (patiemment économisés) et autant pour… les États-Unis, qui doivent quand même payer les retraites de leurs fonctionnaires. Pas un mot sur le fonds souverain russe, alimenté par le gaz et le pétrole mais « désalimenté » par la guerre d’Ukraine.

Et le fonds stratégique européen ?

Toujours rien ! C’est pourquoi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, veut un « fonds de souveraineté européen », de 350 milliards d’euros, pour aider l’industrie de l’Union européenne à répondre à la hausse des prix de l’énergie et aux aides chinoises et américaines, clairement protectionnistes. L’objectif est toujours, officiellement, le même : Zéro Émission Nette de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Pour cela, il faudra une nouvelle législation présentée au Parlement. Pas facile.

350 milliards seulement ? On imagine que les Européens du sud sont d’accord, ceux du nord moins, qui demandent que l’on remette dans le fonds l’argent prévu pour d’autres projets et non utilisé. Mais restent trois pommes de discorde. La première concerne l’objet : souveraineté verte ou souveraineté tout court, intégrant une défense européenne ? L’Allemagne est contre cette dernière acception, restant attachée à l’Otan, alias aux États-Unis. La deuxième concerne les limites : le fonds est-il là pour aider des projets et des entreprises ou, aussi, pour en racheter certaines, jugées « d’importance stratégique » ? La dernière pomme, plus clivante encore si l’on peut dire, concerne le financement, sachant que l’Europe n’a pas de pétrole ! Chaque pays s’endettera-t-il pour une part, s’engageant lui à rembourser, ou bien sera-ce l’Union, pour compte de tous ? On voit d’ici l’opposition du nord, Allemagne en tête.

Surtout, que veut dire souveraineté sans souveraines ressources : les richesses du sous-sol pour l’énergie passée, pétrole et gaz, ou pour l’énergie future : lithium par exemple ? Dans ce monde interconnecté, où personne ne peut tout faire seul ? Actuellement, les Etats-Unis produisent 13% du cobalt, 4% du lithium, 0% du nickel et du graphite qu’il faut pour les véhicules électriques, sachant que plus de 80% des matériaux critiques pour la révolution industrielle en cours sont traités par la seule Chine. Les conditions réelles de la souveraineté sont plus que jamais aux mains de pouvoirs illibéraux.

Oui : jamais l’Europe ne fut aussi peu souveraine, bien moins que les Etats-Unis et la Chine, d’accord, eux, pour se partager le monde. Alors : un fonds pour la souveraineté européenne pour défendre la paix, donc peser dans les compromis et se développer ? Quand on veut vivre libre, on en paye le prix.