Un ambassadeur de France pour les GAFAM ?

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 Un ambassadeur de France pour les GAFAM ?

 

Jamais de la vie ! Les GAFAM (Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft) ne sont pas un pays ! D’autant que deux viennent de changer de nom : Google est Alphabet, et Facebook Meta. Un ambassadeur de France pour les AAMAM ? Quelle idée !

Pourtant, Casper Klynge est le premier Ambassadeur au monde à avoir été nommé « ambassadeur de la tech », en juillet 2017… mais au Danemark. Après avoir été ambassadeur dans un« vrai » pays, il s’installe à Palo Alto. Au cœur de la Californie, avec son équipe, à Copenhague bien sûr et aussi à Pékin, il contacte, rencontre, glane, intrigue, intéresse. Et le chef de la diplomatie danoise dira que « ces sociétés sont devenues un type de nouvelles nations, auquel nous devons nous confronter» !

Pourtant, le 22 novembre 2017, la France nomme David Martinon au poste d’Ambassadeur pour le numérique : « Ambassadeur pour », pas « en » ou « auprès de » bien sûr, comme au Danemark. En France, son rôle concerne « les négociations internationales sur la cybersécurité, la liberté d’expression sur le web, la gouvernance de l’internet et des réseaux, la propriété intellectuelle liée à Internet, le soutien à l’export des entreprises du numérique et la participation de la France au partenariat pour un gouvernement ouvert… ». Il est le « Chief Data Officer » de l’Etat, titre qui n’existe pas ! Henri Verdier lui succède le 15 novembre 2018, étendant son réseau de contacts. Ce monde change !

« Nous confronter », disait le Ministre danois. Il ne croyait pas si bien dire pour l’intérêt et l’importance des tâches, les réactivités comparées du public (notamment diplomatique) et du privé (notamment informatique), sans oublier les rémunérations ! De fait, Casper Klynge est, depuis mars 2020, le responsable Microsoft des affaires publiques pour l’Europe à Bruxelles, plus quelques responsabilités dans divers groupes d’influence…

« Nous confronter », quand la France ou l’Europe s’occupent de réguler ces entités ou, plus compliqué encore, de les taxer. Elles sont riches : la capitalisation boursière des AAMAM atteint 10 000 milliards de dollars, 3,5 PIB français, un demi-PIB américain. Elles peuvent donc « influencer », se défendre, louer les meilleurs experts, fiscalistes et juristes. Bonne chance !

« De nouvelles nations », c’est la question : le pouvoir des AAMAM est important, multiforme, mais pas encore souverain ! Riches et connus certes, mais avec quelles limites ? Ce qui est nouveau n’est pas que ces AAMAM ont plus de moyens que nombre de souverains, mais qu’ils ont plus d’informations sur les sujets de chacun. « Avant », il n’était jamais bon, pour un marchand, d’être plus riche que son seigneur. Aujourd’hui, ces marchands sont chez plusieurs seigneurs, choisissent où ils payent l’impôt et ont surtout de bien meilleurs réseaux qu’eux. L’information donnera-t-elle un pouvoir souverain ou pourra-t-elle se partager avec lui ?

Le souverain, c’est le droit. Mais faire obéir ces géants n’est pas facile. Leurs algorithmes, disent-ils, relèvent de la propriété intellectuelle. Et les voilà qui jugent désormais de la moralité d’une œuvre, d’un message, d’un clip, d’une chanson ! Ils coupent l’accès Twitter à Trump. Obéissent-ils au droit, ou le mettent-ils en action plus vite que n’importe quel tribunal, ce qui implique qu’ils le font ?

Le souverain, c’est la monnaie. Là est l’échec du Libra, qui se voulait la monnaie la plus stable du monde, avec multinationales et milliards de dollars en appui. Mais le projet, même installé à Genève, fait immédiatement face aux réactions violentes du Congrès américain, plus à des « promesses » de surveillances sévères, si Mark Zuckerberg avait poursuivi son idée. Mais il a compris : le Libra s’arrête, s’appelle Diem, va aux États-Unis et vaudra un dollar. Contester le souverain dollar, c’est la ligne rouge et la leçon vaudra pour les grandes monnaies.

Le souverain, c’est la police et l’armée dans un territoire. Mais le territoire des AAMAM c’est le monde, sauf interdiction, comme en Chine, ou règles locales. Mais les AAMAM n’ont pas d’armée et sont au milieu de tous les champs de bataille : hackers privés, États plus ou moins cachés. Les cyberguerres sont partout, pour rançonner ou influencer les élections, et les AAMAM y sont bien plus experts que les États. C’est là qu’ils peuvent aider le souverain, contre des franchises, comme au Moyen-Age. Pas sûr que cesser de rêver leur plaise, mais le pouvoir, c’est toujours la réalité, d’où les ambassadeurs.