Ukraine et bourse : « Acheter au son du canon, vendre au son du violon » ?

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 Ukraine et bourse : « Acheter au son du canon, vendre au son du violon » ?

Le CAC 40 dépassait 7350 début janvier, le voilà à 6750, après 6500 ! Ce qui se passe en Ukraine déterre-t-il le vieux dicton boursier ? « Acheter au son du canon », c’est faire le contraire de ce que font les apeurés, qui vendent à tout prix leurs titres. A tout prix, donc à n’importe quel prix : ils sont légion, face à quelques acheteurs. Eux achètent, non parce qu’ils seraient plus courageux ou prescients, mais parce qu’ils le peuvent. Ils ont d’amples liquidités et accès au crédit, au moment même où il s’arrête pour les autres. Ils font le pari que le conflit sera de courte durée. Puis, « au son du violon », à la victoire de l’un ou de l’autre, ils vendront. Encore une fois, ils seront à contresens des acheteurs rassérénés qui se ruent aux guichets, ce qui fait accélérer la remontée des titres. Belles opérations pour eux.

Ce dicton est-il aussi vrai pour l’Ukraine qu’au XIXème ? Répond-il aux guerres actuelles, plus techniques, médiatiques et géopolitiques, mais avec canon ?

D’abord, la scène de baisse des cours ne se passe pas à la bourse de Kiev et ses vingt titres. Elle a été fermée le 23 février à… 519, après 522 en janvier et un point haut à 600 en… novembre 2018 ! Ce n’est pas là que s’entend le canon, les titres y restant contrôlés par quelques oligarques, mais à New York ou en Europe, où ils ont perdu entre 11 et 13%. On y craint, après l’inflation, une inquiétude qui ralentirait la consommation et l’investissement. Elle pèserait sur des cours jugés encore hauts, ce qui facilite des ventes sans regret.

Surtout : on ne comprend pas l’enjeu du conflit. Qu’est-ce que cherche la Russie avec ses 1500 milliards de dollars de PIB, 11ème au monde, derrière l’Italie et ses 1900 milliards ? Récupérer la Crimée et un accès à la Mer noire faisait sens pour la Russie de Poutine. Mais la prise du Donbass russophone renvoie-t-elle aux Sudètes germanophones, prétexte à annexion par Hitler en 1938 ? Et aujourd’hui, pourquoi cette Russie moyenne prend-elle le risque de sanctions, pour une Ukraine de 150 milliards de PIB ? Par peur de l’Otan ?

Dans cet engrenage que les marchés ont économiquement du mal à comprendre, on ne parle que de canons, jamais de bombes nucléaires. Que canons, tanks et troupes, au moment où Russie et États-Unis reconnaissent avoir plus de 6000 ogives chacun, la France plus de 300, autant que la Chine (officiellement !). Que devient la dissuasion nucléaire ?

A-t-elle fait changer la guerre ? Disparu le risque de « montée aux extrêmes » de Clausewitz : la guerre nucléaire se serait arrêtée le 9 août 1945 à Nagasaki et son risque en octobre 1962, après la crise des missiles de Cuba ? La Russie les retire alors de l’île, tout le monde le sait, et les États-Unis les leurs de Turquie, d’où ils menaçaient la Russie, ce qu’on sait moins. Depuis, les guerres « classiques », et sanglantes, se déroulent entre pays peu avancés et/ou illibéraux, où le prix de la vie humaine n’est pas le même qu’ici, tandis que les pays avancés et libéraux, États-Unis en tête, se lancent dans des salves de sanctions économiques et financières.

Donc : acheter au son des sanctions, vendre au son des téléréunions ? Les marchés financiers sont perplexes. La Russie a les premières réserves de gaz du monde (19%) et les sixièmes de pétrole (6%), sans oublier le cuivre ! Pour ses réserves monétaires, elle ne cesse d’empiler : 585 milliards de dollars de réserves, dont 190 en euros, 130 en or, 94 en dollars et 76 en yuans. La « terrible sanction financiaro-nucléaire américaine » : couper la Russie de SWIFT n’est plus sans problème… à cause de ses retombées. Sans SWIFT, qui gère les transactions mondiales, le système bancaire et financier russe devrait s’effondrer, sauf si les entreprises européennes qui commercent avec la Russie en soufrent et si la Russie a développé un équivalent, le SPFS, certes plus lent mais connecté à la Bank of China, sachant que la Chine développe un système de paiement transfrontalier, le CIPS (Cross-Border Inter-Bank Payments System). Alors : sanctionner des exportateurs, lesquels, et demander aux Allemands de ne pas activer Nord Stream II ?

Une guerre mondiale pour ça ? Les marchés se disent que l’essentiel est peut-être ailleurs. Poutine ne veut pas l’Ukraine dans l’Otan, mais la Chine signe un accord avec la Russie, disant qu’elle ne veut pas que l’Otan s’étende près de chez elle. Les violons attendent, pour jouer : derrière Kiev, Taipei ?