Gaza contre Israël, puis Israël contre Gaza : quand donc s’arrêtera cette terrible suite ! Œil pour œil, dent pour dent : on connaît la règle, simplissime, automatique, immédiatement exécutoire mais, surtout, qui ne résout ni n’apaise rien, au contraire.
Car la « loi du talion » n’est pas une « loi ». D’où vient en effet le conflit qu’elle entend si rapidement traiter, sinon régler ? Quelles en sont les causes, comment s’y analysent, s’y évaluent et s’y partagent les responsabilités ? Où se prend la décision « légale », et par qui ? Questions sans intérêt, dira cette « loi » ! L’essentiel, c’est d’aller vite. Pourtant, tous les yeux ne se valent pas, comme toutes les dents, donc aucune « compensation » à l’identique ne peut se faire. Qu’importe : la priorité va à la vitesse d’exécution. La preuve de la bonne justice, c’est d’être prompte.
Le mot talion dit tout, qui vient du latin talis : tel. Pour tel œil, tel œil, pour telle dent, telle dent. Et pour telle vie, telle vie ? Oui, aussi. L’anglais parle de retaliation, quand le français préfère représailles, autrement dit « rachat ». Nous changeons alors de logique. Avec les représailles, c’est la porte ouverte aux évaluations, aux discussions, puis à une transaction. Faute d’accord, la justice tranchera. Cette évaluation du « prix de la douleur » (pretium doloris) devient ainsi la base des règlements, grâce aux barèmes des contrats d’assurance. Un contrat qui repose sur une communauté d’assurés d’accord pour traiter un dommage ou un drame survenu à quelqu’un, par hasard, donc sans intention de nuire. Mais que de temps perdu dans tous ces calculs, dira la « loi » du talion. Pour elle, c’est la vengeance.
Vite ! Elle se veut expéditive : il s’agit de dissuader de perpétuer un crime ou un délit par peur de la sanction qui suivra… par peur, pas par rigueur morale. Et si le crime ou le délit se commettent, il faudra renforcer la sanction, pour arrêter la propagation. Il faudra montrer aussi qui a été blessé ou tué pour aider à légitimer la réaction, puis publier sa mise en œuvre, pour continuer à faire peur. De nos jours, on photographiera ou filmera, puis on enverra aux réseaux dits « sociaux ». Mais si, pendant des siècles, cette « loi » a plus ou moins « fonctionné » entre individus, familles, villages, gangs, groupes, elle est de moins en moins opérante entre peuples, nations et moins encore entre religions.
Au-delà d’une certaine échelle en effet, sa mécanique se grippe, s’enraye, échappe à tout contrôle. Pire, quand cette « justice » aura été faite, on ne sait rien de ses effets profonds. Le talion arrête-t-il la violence parce qu’il fait réfléchir aux fautes commises : « plus jamais ça », ou bien parce qu’il fait encore peur, ou parce qu’il conduit à préparer une réponse qui sera pire ?
En effet, même devenue plus sophistiquée et électronique, la « loi » du talion ne peut cacher ses origines, celle de pays pauvres où les tensions sociales sont élevées. Elle montre en même temps ses limites : les fragilités sociales, économiques et politiques, qu’elle prétend si simplement régler. Surtout, entre groupes et pays, elle devient la base de provocations et de manipulations : qui tire les ficelles, qui a intérêt aux troubles ? Le calme revenu, qui aura gagné, pour la suite ?
A qui donc profite le talion ? Quand s’arrête-t-il ? Comment contrer et défaire sa « logique » ? Ce sont les vraies questions. On le sait, seuls l’analyse et le temps, avec l’empathie et de meilleures politiques et formations, pourront calmer les sociétés hétérogènes et les faire repartir sur de meilleures bases. Merci du conseil ! Pour en sortir, il ne s’agit pas d’argent, mais d’offrir une vision commune aux nouveaux leaders qui viendront des deux camps. Ils seront suffisamment conscients du fait qu’il leur faut ouvrir une autre voie. Mais ils devront alors être assez crédibles et courageux. Merci du conseil ! Car, au niveau politique, la loi du talion n’est jamais seule. Elle se poursuit jusqu’à ce que ses initiateurs voient qu’ils sont entrés dans une série perdante, mais seulement après avoir rameuté soutiens et amis, donc accru le drame. Ils s’arrêtent, quand ils se voient battus.
Contre Israël, le 7 octobre, (loin) derrière, les chefs terroristes regardent l’effet mécanique des incursions : la victime moralement ravalée au rang de l’attaquant. Meurtre pour meurtre : tous meurtriers, donc. La « loi » du talion est un piège infernal. A nous de ne pas y tomber.