Chaque minute qui passe nous expose aux sondeurs pour le deuxième tour de l’élection présidentielle, ce 24 avril. Depuis des mois, ils nous accompagnent. Mais leur métier a bien changé, en fonction des évolutions technologiques et surtout politiques récentes. Trois se sont succédés.
Le premier métier de sondeur s’exerçait par téléphone et demandait une expertise de confesseur. Il s’est arrêté le 21 avril 2002, au soir du premier tour de la présidentielle d’alors, faute d’avoir vu que Le Pen père arriverait second, avec 16,86% des votes, derrière Jacques Chirac (19,88%), suivi de Lionel Jospin, troisième avec 16,18% des voix. Or, les sondeurs au téléphone nous avaient annoncé 19% pour Jacques Chirac, 18% pour Lionel Jospin et 14% pour Jean-Marie Le Pen. C’est là que leur métier a disparu. Auparavant, soucieux d’avoir une représentation aussi précise que possible de la France par sexe, âge et catégories socio-professionnelles, il leur fallait du temps pour s’assurer de toutes ces caractéristiques combinées, afin que le résultat soit, comme on disait à l’époque : « représentatif ». On s’en doute, cette méthode était longue et coûteuse, pour trouver les personnes qui répondaient aux critères requis. Surtout, il fallait un confesseur, pour discerner les intentions extrêmes, à gauche et plus encore à droite, car elles n’étaient pas aisément avouables au téléphone. Le sondeur confesseur faisait alors son possible pour circonscrire ces intentions cachées et, à la main, corrigeait les résultats obtenus. Il était aussi redresseur, si l’on veut, avec les problèmes éthiques que ceci posait, mais surtout ceux de véracité. Or le premier tour de 2002 a montré que ces « corrections » ne suffisaient pas, le score de Jean-Marie Le Pen restant quand même sous-estimé ! La raison ? Les votes extrêmes ont plus monté que les corrections !
Vient alors le sondeur manipulateur : celui que nous connaissons et qui utilise non plus le téléphone mais l’ordinateur, en demandant à des « volontaires » de cocher leurs préférences. Évidemment, cette méthode est bien plus rapide que celle du téléphone. Surtout, il n’y a plus besoin de confesseur : les extrêmes s’expriment sans filtre, derrière le secret informatique. C’est à ce moment qu’arrive un problème nouveau : la capacité de ce sondeur à devenir un manipulateur, qu’il le veuille ou non. Nous en en avons eu, ces derniers jours, la manifestation, avec la considérable montée dans les sondages de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon surtout. Ainsi Emmanuel Macron recueillait-il 26% des intentions de vote les 7 & 8 avril, soit moins 5 points de pourcentage par rapport à son maximum de 31% du 8 & 11 mars. Cette situation était pour partie symétrique de celle de Marine Le Pen, qui gagnait 9,5 points entre ces deux mêmes dates et de Jean-Luc Mélenchon, 6 points. Les « perdants » étaient les autres : Éric Zemmour, pour Marine Le Pen et « les candidats de gauche », pour Jean-Luc Mélenchon. Mais pourquoi dire que ces sondeurs avec ordinateur sont des manipulateurs ? Tout simplement parce qu’ils peuvent produire des sondages moins chers, plus rapidement et chaque jour. Le public a alors le sentiment que tel meeting de campagne réussi ou raté a un effet immédiat sur le résultat final. Il pense être face à un miroir magique qui décrit en accéléré l’évolution de ses sentiments. Naît alors le « vote utile », un vote pour aller plus vite au deuxième tour, en sautant le premier. La manipulation vient ainsi de l’idée que les sensibilités particulières sont moins importantes que le résultat à obtenir : trouver le candidat qui permettra de changer de président.
Vient le troisième sondeur, le sondeur cartomancien d’aujourd’hui. Il doit deviner non pas ce que feront les électeurs acquis aux deux candidats en tête, mais les autres, ceux qui devront changer leurs choix initiaux. Un exercice d’animosités futures comparées, de futurs « tout sauf ». Ces sondeurs ne sont plus confesseurs ou manipulateurs, mais devins. Et ce n’est pas fini : leur métier va se compliquer encore, puisque les élections législatives offrent un nouveau terrain de jeu, plus complexe sinon plus alambiqué, du fait de ses composantes locales et personnelles, mais décisif si on veut changer les lois et la constitution !
Alors : voter tous les cinq ans, ou tous les sept ou plus souvent encore, par référendums d’initiative populaire ? Bientôt le sondeur freudien ?