Ricardo, Marx, Keynes et Schumpeter en conf. call

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 Ricardo, Marx, Keynes et Schumpeter en conf. call

David Ricardo : Allo, vous êtes là ?

Karl Marx, John Maynard Keynes, Josef Schumpeter (ensemble) : oui David !

David Ricardo : allons-y ! Vraiment, ce 21e siècle commence mal. Qu’en pensez-vous, chers collègues ?

Karl Marx : pas de surprise. C’est la destinée du capitalisme, avec cette polarisation qui s’accélère entre riches, toujours plus riches et moins nombreux, et pauvres, toujours plus pauvres et plus nombreux. Et ça durera jusqu’au moment où la révolution aura lieu. Riches contre multitude : le résultat est écrit !

John Maynard Keynes : c’est mon souci, cette révolution. Je suis libéral, cher Karl, attaché à la liberté du commerce et la liberté tout court, comme vous le savez. Me voilà donc très inquiet, devant la tournure des événements, et pas seulement pour le Royaume-Uni. C’est pour cela que j’ai toujours proposé de soutenir la demande, même en créant des emplois à partir de rien et en les payant avec rien, grâce à une inflation que personne n’aurait vue. Mais aujourd’hui, même avec des emplois peu productifs dans le privé, comme aux États-Unis ou en Angleterre, même avec des emplois de fonctionnaires, comme en France, même avec plus de monnaie que jamais, comme partout, l’inflation n’est pas là et moins encore l’emploi. Pas d’inflation pour euthanasier les rentiers ! Karl, auriez-vous donc raison ?

Josef Schumpeter : je réponds avant ! Ce qui se passe est une révolution, mais pas celle des masses populaires, cher Karl, plutôt celle des technologies et des organisations, la mienne. Elle est en train de tout changer, plus vite que je pensais, et partout à la fois. Difficile alors de dire qu’on gagne tous à l’échange quand il détruit plus vite qu’il ne crée, cher David. C’est pourquoi, à la fin de ma vie, aussi libéral que vous cher John Maynard, j’avais annoncé que le communisme réunirait ces masses inquiètes. Mais ce n’est même pas ce qui se passe, Karl !

KM : ce qui se passe, c’est la trahison du peuple par de prétendus révolutionnaires ! L’histoire a plus d’un tour dans son sac, la bourgeoisie plein de séductions et les socio-démocrates n’en sont pas à une forfaiture près, avec ces populistes à la rescousse. Mais les lois du capitalisme continuent. Le taux de profit baisse, les capitalistes se concentrent, il y a plus de prolétaires, plus inquiets et bientôt révoltés.

DR : Mais si nous arrivions à une période de croissance partout plus faible ? Tout comme les terres deviennent moins efficaces, les gains de productivité fléchissent. Les salaires augmentent moins, puis stagnent. Une croissance zéro, comme disait ce « vert » de John Stuart Mill avant Hulot !

JMK : moi ça me va bien, cette croissance lente. Et j’en ai aussi parlé.

KM : mais pas du tout ! La fin de l’histoire, c’est le communisme. Vous n’allez pas appeler « fin de l’histoire » la difficulté du capitalisme mondial à digérer les problèmes qu’il a lui-même créés. Ce serait trop facile !

JS : ce qui se passe, c’est que David et moi avons tous deux raison, mais trop ! Ces vagues de « création destructrice », comme je les appelle, fragilisent tout le prolétariat, même le mieux installé, celui que vous appelez, Karl, « l’aristocratie ouvrière » avec ses « avantages acquis ». Elles fragilisent aussi les capitalistes, même les plus installés, avec ces monopoles mondiaux qui se créent dans l’économie de l’information.

KM : et quelle autre « solution » que la mienne proposez-vous, qui ne soit pas la fin du capitalisme par la révolution ?

JMK : please, c’est à moi de parler de ces arrangements qu’on a appelés keynésianisme de droite – le centrisme, ou de gauche – la social-démocratie. Oui, c’est de plus en plus difficile de lutter contre le chômage, mais je pense toujours qu’avec la monnaie on a l’inflation, qui règle tout.

DR et JS : non, cette monnaie va dans la « trappe à liquidité » que vous avez décrite !

KM : et les prolétaires passent à la « trappe à pauvreté », avec la mondialisation de David, en attendant les « classes moyennes », avec la révolution technologique de Josef !

Les autres : Karl, auriez-vous oublié ce que vous disiez sur la religion, cet « opium du peuple » ? Avez-vous vu ce qui se passe avec les extrémistes ?

KM : ça, je ne l’avais pas prévu.

Les autres : c’est bien dommage. Car si on pouvait avoir plus de confiance et de coopération entre nous, ce péril qui nous menace tous n’aurait pas cette importance.

KM : c’est de la collaboration de classes !

Les autres : ah, s’il pouvait y en avoir plus !