Nous adorons débattre, détestons décider
C’était un objectif simplissime, au milieu des cris, des chiffres et des pressions, face aux risques de l’inaction. Le Parlement a voté le budget 2025 en février, non parce qu’une majorité était convaincue et déterminée pour le faire, mais parce qu’il en fallait un, nous répétait-on partout. Autrement les portes s’ouvraient à toutes les catastrophes imaginables. Tocqueville le disait : « en a-t-il jamais paru sur la terre une seule (nation)… plus conduite dans ses sensations, moins par ses principes ». Nous étions prévenus : nécessité faisait loi.
Mais toute nécessité ne fait pas bonne loi
Faut-il aujourd’hui répondre par oui ou par non à toutes les questions qui modèlent notre société, au milieu de toutes celles qui nous secouent, comme toutes les autres, amies, alliées, concurrentes, ennemies ? Attention à ne pas s’y perdre et nous perdre. Jus soli contre jus sanguinis, nous voilà maintenant en quête de l’identité française, de Mayotte jusqu’à l’hexagone, Francs contre Gaulois. Ne peut-on plutôt renforcer les frontières de l’Europe, et plus encore l’école et l’apprentissage ?
Drogue : faut-il punir plus, démanteler les réseaux ou montrer plus encore les effets sur le corps des addictions, lutter contre la demande, pas seulement contre l’offre ? Retraite : faut-il taxer les riches ou plutôt faire en sorte d’allonger les carrières, avec des formations adaptées, et construire plus de logements abordables pour plus de familles ? Euthanasie : s’agit-il de se battre pour un absolu respect de la vie d’un côté, d’affoler sur les effets pervers d’une aide à mourir généralisée de l’autre, ou de mettre surtout l’accent sur une véritable hygiène de vie, avec plus de ressources pour les soins palliatifs : une aide à vivre mieux et plus longtemps, jusqu’à la fin ? Débattre oui, mais pour chercher la meilleure solution pratique.
L’histoire raconte que le 29 mai 1243, pendant que Constantinople, « la deuxième Rome », était assiégée par les Turcs, la Cour de l’Empereur débattait avec des prêtres orthodoxes du « sexe des anges ». Les querelles byzantines sont mortelles.
Le « bon budget » n’existe pas
Dans la mesure où il s’agit toujours de confronter des ressources limitées, parce que leurs détenteurs sont réticents à payer de façon directe (impôts) ou indirecte (TVA), à des besoins d’autant plus en expansion qu’ils ne se soucient pas de leur financement. Les dépenses parlent peu aux recettes, de moins en moins même.
Le déficit budgétaire est la marque de cet écart de communication et plus encore de vision, preuve que notre message permanent à l’immoralité du déficit budgétaire, celle qui consiste à transférer des coûts aux jeunes sans même qu’ils en aient été prévenus, est sans effet.
Alors, si la morale ne sert pas, on peut utiliser la pression politique des voisins, Belges ou Italiens, sur la France. Nous les exposons au risque de notre proximité. Si cela ne marche pas, la sanction européenne peut servir, la peur peut être appelée à la rescousse, avec l’idée qu’un jour il pourrait y avoir moins de désir d’acheter des bons du trésor français, de la part d’épargnants étrangers ou locaux. Si la morale est vaine, la pression sans effet, la peur insuffisante, le risque de faillite ne peut que croître, tandis que son signal d’alerte devient plus fort : ce sont des taux d’intérêt toujours plus élevés, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Inutile de parler de déclin
Cela fait des siècles que cela dure et des années que nous répétons que « nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Oui, nous savons que nous sommes 68 millions au milieu de 8 milliards d’êtres humains, que nous vieillissons et attirons les regards et les visiteurs. Nos « protecteurs » déclarent la fin de la pax americana, ce qui nous conduit à aborder nos « problèmes de société », sans se rendre compte que si on ne les règle pas, c’est le meilleur moyen de faire sauter la nôtre.
Comment débattre, pas pour se perdre mais se fortifier ?
Étrange ce goût du « déconstruire », comme s’il permettait de bâtir plus solide, au-dessus d’« avantages acquis » qui résisteraient, ou cet attrait référendaire simplificateur. Il alimentera des tensions géopolitiques, écologiques, migratoires, technologiques, nationalistes, néo-impérialistes… pour mener à des solutions nationalistes, quand les problèmes imposent d’agir en commun. L’identité de la nation, c’est un compromis fait pour durer.