L’équivalent de 3,6 mille milliards de dollars sont inscrits en bons du trésor dans les comptes de la Banque centrale japonaise, rémunérés à 0,47%, tandis que l’inflation atteint 3,3%. Combien de temps vont-ils résister ? On pourra bientôt en parler, entre procès de Donald Trump et grèves en France. Il est vrai que c’est beaucoup plus dangereux.
Les 27 et 28 avril en effet, la Bank of Japan se réunira sous la présidence de Kazuo Ueda. Il succède à Haruhiko Kuroda (78 ans) qui, pendant des années, en silence et méticuleusement, a acheté ces tas de bons du trésor. Il faisait ainsi baisser les taux longs pour soutenir la croissance et atteindre 2% d’inflation : sa mission. Aujourd’hui, il doit pouvoir se dire qu’il a réussi, laissant à Kazuo Ueda les tâches de remonter les taux courts, qui sont à… -0,1%, de vendre ces bons du trésor, et d’en gérer les conséquences, ce dont nul ne parle. C’est là que les choses se compliquent.
On peut en effet imaginer que le jeune patron de la Bank of Japan (71 ans) va lire les statistiques de son pays : pratiquement pas de croissance depuis dix ans, une croissance qui n’est venue que des exportations, puisque le yen rémunéré par son prédécesseur à un taux négatif -le seul cas au monde- n’a fait que baisser. L’histoire est connue : le budget japonais est en déficit et émet des bons du trésor, qu’achète à un taux très faible la Banque du Japon. Les taux courts des dépôts bancaires sont nuls, donc les valeureux épargnants japonais vont voir ailleurs, ce qui affaiblit encore le yen. Avec leur argent, il leur faut partir pour trouver quelque rentabilité : tout y est mieux ! On compte ainsi que cette épargne possède 10% de la dette publique australienne, 8% de celle de Nouvelle Zélande et 6% de celles de Singapour et de l’Inde, donc elle « tient » l’Asie. Il ne faut pas oublier qu’elle a 6% des dettes publiques de France, 5% de celles du Royaume-Uni et 4% pour les États-Unis. A cela, ajoutons 3% des capitalisations boursières française et anglaise et 4% américaine. L’épargne japonaise explique donc largement pourquoi les taux longs étaient et demeurent si bas dans le monde, et les bourses si résistantes. Elle est donc la grande alliée des quantitative easing (achats de bons du trésor par la banque centrale) américains et européens, la seule à ne pas encore se retourner.
Évidemment, tout ceci sera graduel. Le nouveau gouverneur dira qu’il veut être bien sûr que cette inflation signale un vrai regain de la consommation, de l’investissement et de la productivité. Il prendra son temps en faisant passer en octobre ses taux courts à 0% (!) et ses taux longs à 0,6% (!).
Mais aller très doucement ne peut faire oublier une double réalité. La première est que le Japon est le pays le plus endetté du monde : avec un rapport dette publique/PIB de 264%, toute augmentation des taux pèse sur les frais financiers du pays, voisins de 180 milliards de dollars l’an. La deuxième réalité est l’extrême nervosité des marchés bancaires et financiers, telle que vient de l’illustrer la cascade actuelle des crises des cryptomonnaies et des banques, SVB, Signature Bank, Crédit Suisse, jusqu’à inquiéter la Deutsche Bank. Jamais, les bank runs, ces fuites des dépôts n’ont été aussi rapides ! Elles ne se passent plus au guichet ou au DAB, mais par virement par ordinateur ou par Iphone. Ceci en attendant la monnaie électronique banque centrale, le fameux e-euro, dans un ou deux ans, jusqu’à 3 000 euros par personne : la monnaie la plus sûre et la plus rapide de toutes. Comme si l’instabilité des flux monétaires n’était pas suffisante !
Attention aussi au jeu actuel qui consiste à s’endetter en yens, c’est gratuit, pour les transformer en dollars pour 5% : il va être secoué. Même si on nous dit que la hausse des taux japonais n’est pas pour tout de suite et sera graduelle, la mécanique va changer. Il faut donc que le monde bancaire et financier ne soit pas surpris par ce qu’il annonce lui-même ! Les taux longs vont monter, les pertes obligataires, partout comptabilisées en secret, vont apparaître quand une banque, victime d’un run, devra s’en défaire. Le titre public, de protection, devient poison. Attention donc aux banques japonaises : les crédits que leur fait la Banque centrale, pour les garder en vie, égalent ceux qu’elles font aux entreprises et aux ménages.
Comme toujours, les banquiers de tous les pays, rejoints par les banquiers centraux, nous diront alors que rien ne menace: c’est donc grave.