L’économie de Boucles d'or ? En anglais Goldilocks Economy, vient d’un vieux conte : « Boucles d'or et les Trois Ours ». Une petite fille (blonde bien sûr), Boucles d'or, entre dans une maison vide et y trouve trois bols de porridge. Elle mange le premier : « trop chaud », le deuxième : « trop froid », et le troisième : « Ahhh, juste comme il faut ». C’est donc « la bonne température » qu’il faut chercher, mais la petite fille a quand même mangé les trois bols des trois ours, puis s’endort, rassasiée ! Alors, quand les trois ours reviennent et voient les trois bols vides. Ils fouillent la maison. Boucles d’or s’éveille en sursaut, les voit, crie « au secours » et s’enfuit.
C’est merveilleux, en économie, de trouver le juste équilibre pour soigner, communiquer, éduquer et, au final, faire augmenter le PIB « juste comme il faut ». Mais vient toujours un temps où la conjoncture se dérègle : de trop froide, quasi-récessionniste, elle devient « trop chaude », inflationniste. Le difficile est de la tenir « juste comme il faut » : ni trop ni trop peu de chômage, ni trop ni trop peu d’inflation. C’est cet équilibre instable qu’il faut gérer, avec tous les outils des politiques budgétaire, monétaire, structurelle, plus de la politique tout court, avec toujours la « juste communication qu’il faut ».
« Tout va encore bien », se dit actuellement la bourse américaine. Mais elle sent que la température monte trop. 3 500 jours de hausse, c’est un record absolu. La croissance est forte, dépassant 3,8% en rythme annuel au troisième trimestre 2018, pour atteindre en moyenne 3% sur l’année, avec un taux de chômage de 3,7%, mais avec une inflation sous-jacente de 2% seulement, tout compris de 2,6%, pour une hausse du salaire horaire de seulement… 2,6% ! C’est une histoire pour enfants ! Combien durera cet étrange équilibre ? Quand la forte chaleur de la bourse va-t-elle contaminer celle de l’économie au point d’y faire monter les salaires, l’inflation, la chaleur d’ensemble ? Quand cet étrange mélange de trop chaud boursier et de tiède salarial va-t-il changer ? Quand faudra-t-il dire « au secours » et partir, parce que les taux longs à 10 ans dérapent à plus de 3,3% ?
C’est à Jerome Powell, le Président de la Banque centrale américaine, de régler la température du porridge. Il a même dit comment il allait faire, en deux étapes. D’abord, pour permettre à la croissance de continuer sur sa magique avancée, en mobilisant davantage une main d’œuvre éloignée de l’emploi depuis longtemps, il va graduellement augmenter les taux courts, et prévenir quand il le fera. Les salaires monteront, mais différemment : beaucoup pour les experts en informatique ou science, assez pour les salariés moyennement qualifiés, pas mal pour cols bleus qui manquent de plus en plus, peu pour ceux qui reviennent vers le marché du travail. Donc Jerome Powell veut augmenter peu les taux à court terme pour permettre au taux de chômage de baisser vers 3,5%, un minimum. Par mois, le bol américain de financement de la dette à court terme monterait de 0,8% et de 0,1 à 0,2 % pour le long.
Mais si la bourse s’inquiète et baisse, alors Jerome Powell dit qu’il laissera faire. Il veut purger « un peu » les valorisations qu’il trouve trop élevées, ce qui fera rebaisser les taux longs et stabilisera la bourse. Alors la croissance ralentira bien sûr, embauchera moins, les salaires se stabiliseront. Alors l’économie américaine atterrira en douceur, un kiss landing entre 2,5 et 2%. Si nécessaire, mais seulement si nécessaire, Jerome Powell baissera les taux courts, car il faut « garder de la poudre sèche » si la situation se détériore trop. On ne sait jamais. Alors, comme dans Boucles d’or, la récession partira, à plus forte raison toute explosion boursière. La température sera redevenue « juste comme il faut ».
Ceci peut-il se produire aux États-Unis ? Pas sûr, les trois ours sont plus nombreux et remuants : États-Unis, Chine, Iran, Turquie, Arabie Saoudite, Russie, Italie… Pas sûr, car Jerome Powell peut avertir qu’il ne sauvera pas la bourse si elle baisse (pas de Powell Put, comme il y a eu un Greenspan Put et un Bernanke Put), personne ne sait comment il va réagir quand la bourse piquera du nez. Les pressions monteront partout, lui rappelant l’emploi ! L’économie américaine n’est pas « juste comme il faut » : elle devient trop chaude, doit donc devenir trop froide. Les Boucles d’or sont un conte, Trump est seul à y croire.