Psychanalyse du dégagisme

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 Psychanalyse du dégagisme

Attal, attention ! Dégage ! Tire-toi ! Ou bien, comme actuellement : « remaniement », plus poli, ou quand on entend les souhaits ou fantasmes de tel candidat à un poste éminent, pour remplacer l’occupant(e) qui « n’imprime pas ». A moins, dans la presse ou les médias, que ce ne soit un « papier » à écrire vite, avant ceux des autres. On ne compte plus ces ordres brefs, ces rêves éveillés ou ces noms de candidats « potentiels » que nous avons pu lire et entendre dernièrement. Ils expriment le désir de certains, et ce dans les plus brefs délais, avec l’idée que l’Histoire va changer son cours, en leur rendant enfin justice.

Cet ordre de déguerpir vient, dans les démocraties, de multiples raisons selon les commentateurs ou les sondeurs : chômage, fatigue, inflation, usure ou peur d’un futur menaçant. On le trouve surtout dans ces médias permanents, où il est plus facile de critiquer et d’émettre des hypothèses, que de formuler des analyses. Fait moins surprenant, on retrouve aussi cette injonction dans ces courtes périodes où un dictateur est expulsé, a « dégagé » avant qu’un autre n’arrive, dans le vain espoir qu’il en diffèrera. Tout ceci avant que la réalité ne s’impose : la démocratie est fragile et doit être défendue, l’illibéralisme se défend tout seul.

Le « dégagisme » devient ainsi la figure dangereuse de l’impatience, face à la complexité, à la dureté et à l’incertitude de l’époque, quand les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie, aujourd’hui plus que jamais, pour bien montrer que le temps s’accélère, pas la pensée. Or rien ne peut se faire sans étudier, réfléchir et débattre, pour expliquer et convaincre, que ce soit dans l’entreprise, l’école, la ville, le pays, entre pays ou dans une organisation. Partout on doit discuter, pour bien décider. Rien n’est simple, ni ne se règle en tranchant un nœud, fût-il gordien.

Le « dégagisme » ne résout rien, au contraire : il fait croire qu’on peut balayer les solutions « difficiles » en égrainant des noms. On entend alors : « impossible avec lui, trop à droite ou à gauche. Ne s’entendra pas avec tel ou telle. N’apportera rien ». Heureusement, par bienveillance sans doute, personne ne parlera de compétence pour la responsabilité qu’on imagine pour lui : ce n’est pas le sujet.

Pourtant, il faudra bien avancer, convaincre, agir au milieu des rapports de forces, lobbies et autres intérêts acquis. Ce sont le vote et les élections qui permettent normalement de choisir et de conférer quelque légitimité à l’action. Dans ce contexte, l’alternance est la seule forme acceptable de « dégagisme » en démocratie. Elle lui permet de respirer autrement, de durer, en renouvelant troupes et idées. Par différence, la « cohabitation » est ce temps instable où les ennemis coopèrent, tout en s’espionnant. Chacun apprend de l’autre, en jurant de ne pas renouveler l’expérience. Avant l’élection, c’est le temps des débats et des programmes. Après, vient celui des combats, passé ce temps de plus en plus bref qui suit la victoire : c’est la période dite « de grâce », celle où les nouveaux affrontements se préparent.

Ceci n’a de sens que si « le verdict des urnes » n’est pas truqué (pays illibéraux), est accepté par le perdant (au contraire de Trump) et permet une union de partis derrière un programme pour gouverner, sauf le cas d’une majorité relative dans l’impossibilité de majorité absolue. On aura reconnu l’Allemagne et ses unions, ou la France, avec sa Cinquième république dessinée en son temps contre « le régime des partis » (donc pour de Gaulle), quand la Quatrième était faite pour eux (et contre lui).

Mais la France d’aujourd’hui, en majorité relative sous la Vème, se trouve empêtrée dans une situation où elle ne peut se dégager du dégagisme ! Qui en profitera ? Une France qui est de plus en plus difficile à diriger, non pas « insoumise » au Capital, aux chefs, à ses propres élus, comme on nous le répète, mais à elle-même. Et pourtant, nous savons que nous sommes une civilisation en déclin : on nous le dit depuis des lustres. Mortelle même, avec pire : « une forme de civilisation en jeu ». Mais ceci ne nous inquiète pas, tant nous usons de chefs, plus vite et plus jeunes que jamais, pour imaginer conjurer cette évolution, faute de courage et de volonté de notre part. Ceci durera jusqu’à ce qu’à force de leur prier de dégager, c’est à nous que la demande viendra.

Psychanalyse du dégagisme ? Penser que la Mort nous oubliera, tant nous sommes indispensables… à nos yeux.