-0.01% le vendredi 22 mars : allons-nous payer l’Allemagne pour lui prêter à 10 ans ? Allons-nous vers la même inquiétude qu’en mi-2016, où les rendements avaient plongé à -0,2% ? Allons-nous vers le Japon, qui offre -0,07% pour son bon du trésor à 10 ans, avec sa dette publique à 2,5 fois son PIB qu’il ne pourra jamais rembourser ? D’où vient cette épidémie de baisses qui atteint l’Allemagne ? Elle fait passer le rendement du bon du trésor français à 0,36%, pas loin de son minimum de 0,2%, atteint, comme le bon allemand, mi-2016. Se réjouir ou s’inquiéter ?
La source d’inquiétude sur l’Allemagne est son industrie exportatrice, pourtant son point fort. L’indice Markit de l’activité manufacturière passe à 44,7 en mars, un minimum sur 79 mois. Les dernières données montrent une aggravation de l’inquiétude industrielle, liée à la sensibilité particulière de l’Allemagne aux exportations et affectée par les tensions géopolitiques en cours. C’est l’addition du Brexit, de la détérioration des rapports entre États-Unis et Chine, plus de celle des rapports entre États-Unis et Allemagne. Donald Trump n’aime pas les Mercedes, même produites chez lui ! L’économie allemande flirte avec la récession.
0,1% de croissance en ce but d’année en zone euro : voici notre risque de récession, moindre, mais quand même proche. Le ralentissement allemand se propage en effet, mais heureusement s’atténue, car la zone euro est plus que l’Allemagne une économie de services. Ainsi, l’indice manufacturier, établi également par l’agence Markit, atteint en mars son plus bas depuis 71 mois, mais l’indice global, services compris, atteint son plus bas depuis deux mois seulement. Ce n’est donc pas si mal, quand le temps se couvre, d’être en zone euro, où la part de l’industrie atteint 17% et celle des services 73% (les autres activités étant la construction et l’agriculture) plutôt qu’en Allemagne, où ces pourcentages sont, respectivement, 26% et 69%. L’économie de services amortit les ralentissements, mais aussi les rebonds : on ne peut pas tout avoir !
La zone euro va donc jouer les prolongations pour éviter un plongeon d’activité et conjurer le risque de déflation. Elle va prolonger sa politique de taux bas à court terme pendant deux ans (elle en avoue un), maintenir son portefeuille de bons du trésor pour peser sur les taux longs (comme si besoin était) et financer plus les banques pour qu’elles fassent plus de crédits à des taux super bas, soutenant plus l’investissement.
Allons-nous alors vers une baisse des taux aux États-Unis ? Oui, si les choses continuent ainsi : le taux à 10 ans est à 2,4% et le taux court à 2,25-2,5 %. La « courbe des taux » est plate. Comme l’activité bientôt ? Avant de baisser ? Jerome Powell, le patron de la Fed (la Banque centrale américaine), a sa part de responsabilité dans tout cela, avec son brutal revirement qui a inquiété les marchés, plus ses « problèmes de communication ». En décembre, il annonçait d’autres hausses des taux courts pour atteindre un « taux normal » qui équilibrerait l’activité. Mais les marchés plongent et lui expriment leur opposition. Pour eux, un ralentissement est en vue : d’autres hausses de taux pourraient conduire à la récession. Donald Trump en rajoute et vocifère contre lui. En maintenant, on ne parle plus de hausses, le taux à court terme est jugé « normal », et la Fed ne va plus vendre de bons du trésor ! Quel revirement !
Une guerre à la Fed ? Deux postes de gouverneur restent libres à la Fed, et le Président Trump vient de nommer Stephen Moore, son ancien conseiller de campagne. Mais l’ambiance va chauffer à la Fed, s’il est choisi : on connaît ses prises de position pour les baisses de taux et d’impôts. On connaît surtout ses positions contre Jerome Powell, jugé par lui « totalement incompétent » et « qui ne sait pas ce qu’il fait ». Les marchés financiers aiment une banque centrale consensuelle. Ils sont déjà gênés quand ils voient que certains de ses membres verraient ses taux monter à 3% en 2021 et un à 3,75% ! Et demain alors !
Tout s’ajoute pour inquiéter les marchés : économie, géopolitique et surtout politique. Ils ne voient plus ce qui pourrait se passer, avec cette forward guidance flageolante de la Fed, elle qui est pourtant décisive pour le monde entier. Trois possibilités s’ouvrent à eux : un peu mieux, plat, pire. S’ils ne sont pas menés d’une main plus crédible aux États-Unis, ils choisiront le pire.