Crier au loup le fait-il partir, ou venir ? Faut-il dire : « Marine Le Pen ou Emmanuel Macron va être élu(e) » pour la(le) faire gagner, ou perdre ? Pour certains, annoncer une nouvelle la fait arriver : la prophétie est autoréalisatrice (self-fulfilling prophecy), qu’elle soit jugée bonne ou mauvaise. Non, disent les autres : annoncer une nouvelle la fait combattre si elle est majoritairement perçue comme mauvaise. La prophétie devient autodestructrice (self-defeating prophecy). Mais comment savoir si ce qu’on prédit sera majoritairement vu comme bon ou mauvais ?
Comment parler de la crise de l’euro, du Brexit, du prix du pétrole et de la Présidentielle ? Annoncer l’explosion de l’euro fait-il serrer ou desserrer les rangs ? Le Brexit prouve-t-il que quitter l’Union est un bon choix ou bien que viendront l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, la récession, la crise de la City, le référendum écossais et l’explosion du Royaume-Uni ? Les voitures électriques, les centrales solaires et éoliennes, les technologies nouvelles vont-elles réduire la consommation de pétrole au point d’en chercher moins, ce qui pourrait provoquer une pénurie physique bien avant l’arrivée des voitures à hydrogène ? Comment convaincre du futur ?
La Présidentielle française conduit ainsi à des propositions de rupture par un camp, jugées catastrophiques par les autres. Citons : sortir de l’euro/s’y renforcer, ne plus payer la dette publique/travailler à la réduire, payer un revenu universel/diminuer l’impôt, taxer les robots/investir, augmenter/baisser les impôts, embaucher plus de fonctionnaires/en réduire le nombre… Pour convaincre, chaque candidat souligne les avantages de son projet et noircit ceux des opposants. Il combine sentiments et ressentiments, raison et émotion, courage et peur pour dire que « la dynamique est forte chez lui » tandis que « le doute et les désertions sont en face ». Son programme devient un ensemble de « bonnes prophéties », contre les « mauvaises » des autres et la Présidentielle un concours de prophéties, pour savoir laquelle sera la plus entrainante, la plus autoréalisatrice, la gagnante.
Mais rien n’est joué, car la Présidentielle n’est pas « le bug de l’an 2000 » ! Le bug, c’était l’ennemi commun, gros ou minuscule, multiforme et caché, que chacun pouvait et devait combattre. Comme l’an 2000 ne pouvait être repoussé (!), il fallait inquiéter au maximum pour écraser ce bug, cette « punaise » qui pouvait bloquer les distributeurs de billets, les réfrigérateurs ou les automobiles. La prophétie ne pouvait qu’être autodestructrice. Et tout le monde a été si inquiet que tout s’est bien passé, ce qui a permis aussi de revoir les programmes informatiques des entreprises et des organisations. La crainte du pire l’a évité et personne n’a critiqué les exagérations des messages de l’époque.
Pour gagner la Présidentielle, il faut donc transformer « l’ennemi prévu au deuxième tour » en « bug de l’an 2000 ». Il faut changer la nature des prophéties, en passant de la concurrence des onze qui se veulent autoréalisatrices, autrement dit : les programmes des candidats, à deux prophéties autodestructrices du second tour, pour que l’autre perde. Cette gestion des prophéties passe par quatre étapes.
Un : classique. Il faut renforcer son camp (discours, meetings, livres, programmes, calculs, appuis, ralliements, presse – surtout radio et télévision), diviser et affaiblir ceux des autres.
Deux : maths et mensonges. Puis viennent l’utilisation fine des nouveaux médias et réseaux sociaux, les communicants avec leurs savants algorithmes, sans oublier les vieilles « boules puantes » et les modernes fake news.
Trois : à l’approche du premier tour, la nervosité monte. Les sondages classent les prophéties en faisant apparaître les « perdants » : les troisièmes et suivants. Qui les critiquent : « ces sondages n’ont vu ni Brexit ni Trump ! », « attention aux faux prophètes » ! N’empêche, les enquêtes renforcent le classement des candidats, selon les intentions de vote et surtout leur solidité (« vous êtes certain de voter pour ce candidat… »).
Quatre : vient alors, près du premier tour, la grande mue. Les prophéties autoréalisatrices laissent place aux prophéties autodestructrices… de l’ennemi : les « tout sauf… » ou le « vote utile », plus les ralliements. Il faut transformer l’adversaire en « bug de l’an 2000 ». Gagnera celui qui nous convaincra qu’il saura le mieux débugger l’autre.