Le « premier de cordée » ouvre la marche dans les passes difficiles. Il a plus d’expérience et est plus vigoureux que ceux qui le suivent et lui font confiance. La cordée est une organisation efficace, si « le premier » est bien choisi pour guider dans les situations périlleuses et faire réussir les suivants, pas « les suiveurs ». L’image naît au début du XXe siècle avec le développement des escalades et le roman de Roger Frison-Roche, en 1942, la met en valeur.
Puis ce « premier » quitte les cimes pour entrer dans l’économie et dans la politique ! En économie, il est le chef d’équipe, celui qui innove et prend des risques, puis en bénéficie en cas de succès, puis en répartit les avantages à ceux qui l’accompagnent. Son entreprise est bénéficiaire, ce qui est bon pour les salariés et les actionnaires. De proche en proche, tous vont dépenser leurs revenus, en consommant ou en se lançant dans d’autres aventures. Avec la politique, on passe de l’innovation et ses risques, à la répartition des profits, au « ruissellement », fameux aux États-Unis avec les trickle-down economics. Car si l’approche a un fondement économique, elle a des dangers. Pas seulement les bulles immobilières de la Silicon Valley, mais l’extrême écart de richesses que suscite la révolution technologique en cours, écart accru par les politiques monétaires « accommodantes », depuis la crise des subprimes (2007) jusqu’à la pandémie du COVID-19 (2020). Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), plus Tesla et autres font naître en quelques années des champions mondiaux qui évincent les « vieux » et achètent les jeunes innovateurs qui pourraient les concurrencer. Désormais, avec un concept qui séduit, le « premier de cordée en bourse » est riche avant d’escalader ! On comprend donc pourquoi, le 28 avril, le Président Biden dit devant le Congrès : « l’économie du ruissellement n’a jamais marché et il est temps de faire croître l’économie depuis le bas et le milieu ».
Le « milieu de cordée » ? Dommage qu’on ne le dise pas plus, pour montrer la puissance que forment ces relations humaines que sont toutes les entreprises. Le milieu de cordée, par sa masse et sa diversité, sa résilience, compense en effet la plupart des chocs économiques, sociaux, politiques et technologiques. Des chocs omniprésents, mais on parle plutôt filières ou chaînes de valeur, sans faire le… lien entre eux !
Vrai problème, car il n’y a pas de ruissellement aux États-Unis, par excès d’inégalité. « Les 55 plus grandes entreprises du pays ont payé zéro taxe fédérale l’an dernier » dit Joe Biden devant le Congrès. Et il ajoute : « je pense que vous devriez être capable de devenir un milliardaire ou un millionnaire, mais de payer votre juste part ».
Et cette théorie du « milieu de cordée » va plus loin, chez Joe Biden, qu’une logique fiscale et sociale pour unifier le pays : elle est d’abord technologique. Les retards de livraisons de puces qui affectent Apple et les producteurs d’automobiles, réduisent leurs profits au moment même où la politique économique veut soutenir la demande. Il faut donc rattraper ce retard, investir et former.
Surtout, le « milieu de cordée » de Joe Biden est géopolitique. « Il n’y a pas de délimitation nette entre politiques extérieure et intérieure… Promouvoir une politique internationale pour la classe moyenne exige une attention urgente sur notre rénovation économique interne » déclarait déjà la Président Biden le 4 février. Tout devient lié aux États-Unis : le retour sur la scène mondiale part de l’intérieur et d’une base économique et sociale à renforcer vers le haut, puis à déployer. Le milieu de cordée américain à rebâtir, c’est pour unifier le pays et étreindre le monde.
Ici, le premier de cordée « macronien », financièrement faible, n’est pas le « bidenien ». Conçu pour valoriser la « french tech », il est vu comme une défense de la richesse, avec ce ruissellement si critiqué car « pro-riches », alors que « nos » inégalités n’ont rien à voir avec celles des États-Unis. Notre problème est le manque de « premiers » et d’argent, pour prendre des risques.
Pire, le milieu de cordée européen n’ose pas s’affirmer. Il avance masqué derrière le programme européen « vert ». Il s’agit de soutenir des PME prometteuses et des programmes stratégiques : une cordée centrale à créer, avec un financement solidaire. Mais c’est très lent et mesuré.
Aux États-Unis des cordes se nouent. Ici, on discute des brins.