Nous adorons en France les simplifications, mieux encore en les politisant, pour les opposer davantage. La politique de l’offre se trouve alors jugée de droite, « classique » si l’on veut faire théorique et aimable, ou mainstream (entendez : du troupeau) si l’on préfère la critiquer comme « internationalement commune ». En face campe l’économie de la demande, de gauche, « keynésienne » si l’on doit choisir une couleur théorique, ou comme celle qui nous a sauvés des crises de 1929 et d’après-guerre – intouchable donc.
Dans cette perspective, augmenter le SMIC soutient la demande, tout comme repousser l’âge de la retraite ou subventionner la construction et la rénovation de logements : c’est « bien ». Mais alors, moins taxer les ménages et les entreprises, ce serait au contraire aider l’offre ? Ce serait « mal » ? On peut aussi s’interroger sur les effets de ces deux politiques et plus encore sur leurs origines, puisque nous voilà au tribunal, parlementaire en l’espèce.
Commençons : pourquoi donc soutenir la demande, et pas l’offre ? Parce que c’est rapide (et populaire). Parce que la demande est trop faible pour soutenir l’activité, l’emploi et les salaires, ceci depuis longtemps, nous dit-on. Il faut donc augmenter les « bas salaires » et les « petites retraites » puis, si cela ne suffit pas, baisser régulièrement les taux d’intérêt. Ceci permet de soutenir l’investissement des entreprises et des ménages pour renforcer les effets de ces mesures, avec l’idée de continuer ces baisses de taux, puis de les maintenir bas, si l’activité reste encore trop faible. Pour obtenir une réaction durablement plus favorable, il vaudrait même mieux baisser les impôts des ménages aux plus faibles revenus (et la TVA des biens de première nécessité) ou ceux des petites entreprises, et s’embarquer dans une stratégie baissière des impôts. Mais ce serait soutenir l’offre ! La paroi entre demande et offre est-elle donc poreuse ? Pas de panique : ce sont les anticipations qu’il faut mobiliser, de façon à ce que les augmentations de demande s’inscrivent dans la durée et ne soient pas vues comme un coup de fouet momentané. Ceci permettra de vraiment soutenir l’investissement, donc… l’offre.
Les politiques, monétaires et/ou fiscales, de soutien à la demande veulent toutes deux sortir l’économie d’une situation de faiblesse et plus encore d’une spirale récessive. Elles font un pari : obtenir des emplois, dont l’apport de ressources économiques et fiscales dépassera les baisses de revenus fiscaux qu’impliquent ces soutiens, supposés ponctuels, en stimulant les propensions à consommer et à investir.
Mais pourquoi soutenir la croissance ? D’où vient cette inquiétante faiblesse ? La réponse est toujours la même, lancinante et refoulée : d’une profitabilité, courante et anticipée, trop faible. Elle est le moteur de tout : c’est le profit qui pousse les entreprises à investir pour innover et améliorer leur offre. Elles ont alors les moyens d’embaucher, d’augmenter les salaires et de former, alimentant une demande plus soutenue dans la durée, notamment grâce à l’exportation. Ce n’est que si la profitabilité est insuffisante par rapport aux économies concurrentes qu’une politique de soutien à la demande, et à l’offre, est fondée. Et si elle est temporaire. Autrement, elle devra être dépassée par la seule qui vaille, celle de l’offre industrielle, structurelle, stratégique. Stratégique, parce que les résultats d’une économie ne valent que comparés à ceux des voisins et concurrents. Or, dans la révolution technologique en cours, ce sont les innovations qui creusent les écarts de situation, qu’il s’agisse des entreprises industrielles ou de services. Ce sont elles qui permettent les fortes valorisations boursières, et les chamboulements qui vont avec, après d’immenses investissements en recherche.
Opposer la politique de l’offre à celle de la demande en pleine révolution de l’information, après celles du charbon, de la vapeur, du pétrole, du nucléaire, c’est ne pas voir qu’elle seule peut toutes les dynamiser, en les dépassant. C’est l’offre qui domine, plus que jamais, avec ses risques. Nous sommes entrés dans une nouvelle division mondiale du travail, en fait de la dominance des dépendances entre États-Unis (et ses alliés) et Chine (et ses alliés). Opposer offre à demande au niveau national, de droite à gauche, n’est pas se tromper d’échelle, mais de combat.
C’est se battre… en retraites, donc perdre.