On n’arrête plus la perversité technologique, pour désinformer et accompagner plus efficacement les tensions, sinon les violences : noirs pendants du progrès ! Le cinq juin, la télévision russe se voit ainsi hackée (pénétrée par effraction) pour donner la parole au Président Poutine, plus exactement pour donner « une » parole à une image détournée du Président Poutine. Assez étrangement en effet, il annonce l’entrée de troupes ukrainiennes dans les régions de Kursk, Belgorod et Bryansk. Il demande alors à ses compatriotes de les évacuer. Avant, le 18 mars, c’était à la télévision ukrainienne de subir le même sort, le Président Zelensky annonçant simplement la capitulation de son pays. Dans l’un et l’autre cas, les avancées de la technique du deep fake (hyper trucage) sont à l’œuvre. On pourra ensuite remarquer des faiblesses techniques, dans les attitudes et mouvements de lèvres de l’un, dans certaines intonations de l’autre, mais l’effet d’inquiétude demeure, plus la surprise : « comment ont-ils donc fait » ? Derrière ces jeux d’écrans et de manipulation, la vraie guerre fait rage.
La désinformation fait ainsi de considérables avancées. Certes, elle est aussi vieille que la guerre et jamais l’une ne va sans l’autre, avant, pendant, après, longtemps après. Fille de la ruse, elle a même fait plus de progrès techniques que la guerre elle-même. On connaît depuis des siècles la fausse signature, le faux en écriture, le faux billet de banque, le message tronqué de la dépêche d’Ems, chausse-trappe prussienne qui nous mena à Sedan. On découvre le faux article de journal qui renvoie au vrai site, le faux en audio, en photo, le « kompromat » russe pour faire chanter un décideur, filmé au lit sans qu’il y soit seul… Le faux est de mieux en mieux fait.
« Avant », il s’agissait surtout de Distordre : pas tout à fait faux, pas tout à fait vrai non plus, mais bien utile pour répandre du flou, de l’incertain, du doute. Désorienter suit alors, puisqu’on n’est plus sûr de personne, ni de rien. Détourner d’un problème en attirant l’attention sur un fait divers vient ensuite, « divers » entendu au sens de diversion. Discréditer arrive, évidemment, puisqu’il ne s’agit plus seulement de brouiller les repères, mais surtout de changer les hiérarchies, de ne plus croire aux élites, aux sachants, aux chefs. On peut alors monter des histoires de plus en plus folles : il n’est même plus question d’être vraisemblable, mais d’être mentionné ici, repris là. Le like remplace le vrai, le follower le convaincu. On entendra et lira ainsi que du sang est prélevé sur de très jeunes enfants à l’occasion de cérémonies sataniques et pédophiles, pour créer une drogue qui rajeunit : l’adrénochrome. Mélanges de vieilles histoires antisémites et anti-élites, ils arrivent aux États-Unis, passant par les réseaux et le sous-sol d’une pizza de New-York, pour déstabiliser Hillary Clinton ! Ou ici à Paris, cette histoire se répète dans un bateau amarré sur la Seine, contre Emmanuel Macron cette fois ! C’est fou, mais tout est bon pour Diviser, Distordre, Désorienter, Discréditer et Diviser : 5 D dont il restera quelque chose.
La désinformation se multiplie, grâce à des usines spécialisées, à des robots, à d’étonnants progrès dans le deep fake avec des photos ou des films retouchés qui font passer des messages détournés. Il s’agit de faire avancer le doute, le pourquoi pas. Sans aller jusqu’à la « vérité alternative » qu’a installé Donald Trump, ces usines sont toujours plus rapides que les vérificateurs, les fameux fact checkers. Ces derniers seront plus lents, dépassés par les milliers de robots-parleurs, les chat-bots, qui les forceront non pas à dire « faux », ce qui est trop simple, mais : « contexte manquant » ou « essentiellement faux ». Ce jugement honnête, mesuré, fera penser à certains que « tout » n’est donc pas faux dans le message, plutôt qu’il a été bien fait. Et voilà les faux fact checkers !
Comment avancer dans ce « monde Potemkine » ? D’abord, il faut savoir qu’il mute ainsi, avec la multiplication des tensions, enjeux, alliances, en pleine révolution de l’information. Depuis la Chute du mur, la guerre de la désinformation est sortie de la binarité. Tout devient possible, dans ce monde « complexe ». La guerre n’est plus surtout idéologique : communisme contre capitalisme, mais aussi religieuse, historique, technique, climatique, tribale, sexuelle…
Par temps de guerre, la vérité ne meurt pas : elle se multiplie !