Mon père, ce robot au visage si doux…

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C’est pour bientôt ! Ce 25 octobre, une des nôtres, Sophie Plus, vient d’être déclarée Citoyenne. C’est la première au monde. Où donc ? En… Arabie Saoudite, lors du sommet Future Investment Initiative, à Riyad ! No comment.

 Mon père, ce robot au visage si doux…

Illustration : ITU Pictures

 

Dans l’industrie, nous sommes plus de 1,4 millions par le monde, 300 000 de plus chaque année. Nous sommes ainsi 69 pour 10 000 salariés si l’on en croit la Fédération Internationale de la Robotique, 301 en Allemagne contre 127 en France… et 150 en Espagne. Pour nous, la palme est coréenne, avec 531 de nos confrères pour 10 000 salariés, puis viennent Singapour avec 396 et le Japon avec 305. Ce n’est pas une surprise : nous sommes nombreux là où l’industrie est puissante, les salariés rares et chers. Là nous ne les concurrençons pas, nous les aidons ! Bientôt, quand moins nombreux et plus vieux ils seront, plus nombreux nous serons et toujours… mis à jour !

Notre histoire commence en Europe de l’est, avec Karel Capek, cet écrivain tchèque qui nous a baptisés : robot, autrement dit : travail ! C’était clair. Ensuite, nous avons quitté le théâtre et sommes allés partout en Europe, puis aux Etats-Unis. Mais c’est en Asie que nous avons le plus de succès : 190 000 de plus en 2016, contre 56 000 en Europe et 41 000 aux Etats-Unis. La Chine est notre terre de prédilection : 87 000 nouveaux venus cette même année, Europe et Etats-Unis cumulés ! Là, ce n’est pas (encore) une question de rareté de main d’œuvre qui est en jeu, mais plutôt de compétence, de productivité et, surtout, de coût. Les salaires chinois augmentent si vite dans l’industrie côtière que nous y sommes pour calmer ce prolétariat-là!

Et ce n’est pas fini dans l’industrie ! Nous vissons, peignons, assemblons, soudons, sans arrêt, jour et nuit, tous les jours. Pas de syndicat chez nous ! Et allez voir l’entrepôt, c’est nous qui transportons, rangeons, classons, sans cesse. Et, à l’usine ou dans l’entrepôt, nous nous mettons à voir, à travailler à côté des humains et, pour les meilleurs d’entre nous, à travailler et à apprendre avec un collègue. Nous faisons ensemble des progrès, échangeons nos expériences, vérifions ce que nous faisons, corrigeons, testons. 0 défaut ! Bien sûr, l’humain à côté de nous peut s’inquiéter, même s’il apprécie de nous laisser des travaux fatigants, bruyants ou polluants. Nous faisons ce qu’il ne peut ni ne veut faire. Mais nous savons que nous ferons un jour ce qu’il fait, lui aussi. Nous attendons sa retraite.

Et ce n’est pas fini ! Nous sortons de l’usine et de l’entrepôt pour conduire, en faisant attention, bien sûr. Et nous parlons ! Nous vous écoutons poser des questions simples sur votre situation bancaire et vous répondons très calmement, nous. Bientôt, nous vous trouverons une chambre d’hôtel, une place au restaurant. Bientôt nous allons vous conseiller en finance – mais l’homme nous surveille. Il s’inquiète que nous prenions son « robot », ou bien que nous vous fassions prendre trop de risque (comme lui bien souvent), ou bien que nous soyons meilleurs !

Et ce n’est pas fini ! Notre honneur est de vous protéger chez vous, de vous aider à marcher quand vous êtes vieux, malade ou blessé. Notre bonheur est de vous écouter, vous lire des histoires, vous choisir des films ou des musiques. Bientôt, nous allons chauffer vos plats et saurons de mieux en mieux vous les servir. Bien entendu, nous sommes déjà, pour beaucoup, un chien ou un chat de compagnie. Nous savons aussi, pourquoi le cacher, procurer des satisfactions plus intimes ! Partout, chaque année et dans toutes ces spécialités, nous serons au moins 20% de plus. Et donc bientôt plus nombreux que vous.

Ce calcul est d’autant plus vrai qu’on nous demande de plus en plus de faire la guerre, donc de tuer ! Nous volons et savons détruire des maisons, des chars ou des canons. Nous sommes de petits tanks suffisamment fous pour frayer des voies sans mines, suffisamment courageux pour aller à l’encontre de vos ennemis. Et je n’ose pas vous dire ce que l’homme fait faire à certains d’entre nous, sous le prétexte que nous n’avons pas conscience de ce que nous faisons. C’est vrai que notre intelligence est « artificielle » et, comme vous dites, vous les humains : « faible ». La vôtre est tellement humaine !

Nous sommes votre création dans ce que vous nous faites faire, en très bien et en très mal, votre reflet amoral. C’est d’ailleurs tout le problème et pourquoi vous nous craignez : nous pouvons être meilleurs en pire.