Paris s’étale moins, les nouvelles baronnies pompent plus

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 Paris s’étale moins, les nouvelles baronnies pompent plus

La France change de formes. C’est mieux pour beaucoup, désespérant pour d’autres. Paris reste toujours trop grosse, mais se met à grandir moins vite. Bien, mal ? Elle étale plus lentement son influence, jusqu’à 150 kilomètres au-delà de son périph’, sans rupture. Pendant ce temps, de nouvelles baronnies, dites « métropoles », regroupent entre 400 000 et 500 000 habitants. Elles explosent, à plus de deux heures de la capitale. Mais alors, à une heure de chacune d’entre elles, naissent brutalement de vrais déserts, économiques, sociaux, médicaux, générationnels. Là, des périph’ virtuels, sans béton ni bitume, s’installent. Terriblement efficaces.

 

Oui, Paris est trop grosse pour assurer le développement équilibré du pays. La France est victime d’une « macrocéphalie » historique, ou de « centralisation excessive », pour parler comme n’importe quel candidat à une élection. C’est l’héritage de nos rois, désireux de tenir leurs nobles et de surveiller leur peuple. Cette déformation, politiquement explicable et toujours plus coûteuse, a empiré avec les siècles. Paris « pompe » les élites et les bonnes places. On s’épuise pour y arriver et s’use pour y demeurer, au milieu des embouteillages : l’histoire est connue.

 

Mais elle devient moins vraie, ou plus grave. D’abord, un Grand Paris est en train de naître, et les JO vont aider. Surtout avec les métropoles assez éloignées de Paris pour qu’elles puissent respirer, le paysage change. Ce sont Lille, Lyon, Bordeaux… Elles attirent jeunes, PME et innovateurs qui veulent une vie plus cool. Manque de chance, il se trouve qu’elles pompent encore plus leur environnement que ne le faisait la vieille Lutèce, s’il faut plus de trente minutes en voiture pour les joindre ! Nous sommes passés du « Paris et le désert français », la bible de la décentralisation publiée en 1947 par Jean-François Gravier, à « Paris et ses déserts : lyonnais, marseillais, lillois, bordelais… ». Que s’est-il donc passé ?

Certes, Paris est un mastodonte parmi les « villes » françaises. Avec 11 millions d’habitants, l’ « unité urbaine de Paris » est sept fois plus peuplée que ses deux suivantes, Marseille (1,9 million d’habitants) et Lyon (1,4), dix fois plus que Lille (1,1), Toulouse et Bordeaux (0,8). Mais le Grand Paris s’assagit : il vieillit. Il voit sa population augmenter plus lentement entre 2011 et 2016 qu’entre 2006 et 2011 : 0,3% contre 0,6%, moitié moins ! Pendant ce temps, les 22 métropoles hors Grand Paris, dont la population croissait de 0,3% par an entre 2006 et 2011, augmentent de 0,7%, le double ! Entre 2011 et 2016, elles ont gagné chaque année plus de 100 000 habitants, contre 75 000 entre 2006 et 2011. En se densifiant, elles abritent 29% de la population française sur 2% de la superficie et expliquent 36% de la hausse de la population française entre 2011 et 2016, contre 22% entre 2006 et 2011.

 

On s’en doute, cette histoire commence depuis Paris. Son attirance demeure, mais butte sur le prix du mètre carré, alors que Youtube permet de tout voir partout. Paris attire une population qui travaille dans les sièges des grandes entreprises ou des activités à haute valeur ajoutée : elle y est bien payée. Avec le temps, des aides familiales, des cessions de logements et des crédits, elle devient propriétaire. La gentrification des arrondissements « difficiles » s’accélère, passe le périph’ et atteint Clichy, Saint-Ouen, Aubervilliers et Montreuil.

 

Mais c’est plus loin que regardent les jeunes. Dans ces baronnies, ils peuvent acheter au tiers du prix de Paris, à 1% sur 15 ans, tandis que les PME et les start-ups cherchent des emplacements moins chers, des jeunes qualifiés et un environnement moins stressant. Ils se rencontrent dans ces métropoles revampées, vibrantes et branchées. Elles font cesser l’étalement « à la parisienne ». Elles attirent à leur pourtour immédiat, mais désertifient au-delà. De 2011 à 2016, la population des communautés de communes augmente de 0,9% par an si elles sont à moins de 30 minutes d’une métropole, de 0,7% entre 30 et 45 minutes, de 0,1% à plus de 90. A trente minutes de ces jeunes métropoles s’applique ainsi une « double peine » : démographie faible, perte d’attractivité des jeunes. A 90 minutes c’est pire : plus de vieux, pas de jeunes. C’est de là que viennent les gilets jaunes. Chaque samedi, ils passent l’invisible périph’ de nos nouvelles baronnies pour manifester, souvent de façon violente, leur sentiment d’être abandonnés.