La voilà, pas comme et d’où on l’attendait. Elle est aux États-Unis, bientôt en zone euro. La voilà aux États-Unis, à 2,1% sur un an et à près de 3%, si on extrapole son accélération des trois derniers mois. On l’attend en zone euro, à 1,3% actuellement, sachant que l’Allemagne va vers 1,8% et la France vers 1,6%.
Les patrons des banques centrales voulaient 2% d’inflation à moyen terme et ont tout fait pour. Ils ont acheté des tombereaux de bons du trésor pour faire baisser les taux d’intérêt, pousser les banques à prêter et les épargnants à dépenser, puisque leur épargne ne rapportait rien. Plus fort encore, en zone euro, les banques qui ont trop de liquidités se les voient payer à -0,4% par la Banque centrale européenne ! Tout est donc fait pour conduire les entreprises à investir et embaucher, puis les salaires à monter et l’inflation à suivre. Ainsi, les banquiers centraux ont lentement remonté leurs taux d’intérêt aux États-Unis depuis des mois. Ils se préparent plus doucement en zone euro. Mais ils doivent tous faire attention, car cette inflation qui arrive enfin est méconnaissable.
Un tiers matheuse d’abord, cette inflation vient d’une économie en profond changement, avec le poids croissant de l’Intelligence artificielle dans les analyses et les prévisions des décideurs. Avec plus de mathématiques au service de plus d’informations à traiter, pour mieux cibler produits et services à offrir, mieux investir et communiquer, il faut plus de matheux, statisticiens et autres data scientists. Mais ils deviennent de plus en plus difficiles à trouver, pour étoffer les équipes innovation, communication, production, logistique, finance et informatique… Donc leurs salaires montent, pesant sur les marges et les prix.
Un autre tiers de cette inflation vient d’un trop de confiance ensuite : les décideurs sont plus sûrs d’eux pour changer, disrupter et investir – du fait des matheux ! Les investissements anciens vont à la trappe, avec réseaux, machines et logiciels. Les licenciements suivent. Viennent les nouveaux réseaux de production et de distribution, les nouvelles machines et les nouvelles embauches : tout ceci coûte. L’économie repart sur un nouveau pied, de plus en plus fort et rapide car elle se vit plus confiante, chacun voulant dépasser l’autre. Ces matheux plus chers alimentent la surchauffe. Après avoir ringardisé l’ancienne économie, il faut vite créer la suivante. Les carnets de commande se remplissent, les prix des matières premières montent, les délais d’allongent. Tous les prix se mettent à remonter.
Plus de proximité pour le dernier tiers d’inflation, car il faut plus de services que jamais. L’économie d’Internet est celle où vous pouvez faire vos courses sur ordinateur, mais à condition qu’on vous livre ! En même temps, il faudra de plus en plus suivre sa santé avec, pour les personnes âgées, plus d’aides et de surveillances pour rester le plus longtemps possible chez soi. Ceci crée plus d’emplois de services, au début très peu payés, jusqu’à ce qu’ils soient mieux formés, donc que leur productivité augmente, puis leurs salaires. Le plein emploi cohabite ainsi avec peu d’inflation, troisième tiers.
Plus de croissance et plein emploi aux États-Unis et en Allemagne, avec des salaires qui commencent à monter et une inflation qui se réveille : c’est notre nouveau monde. Les matheux qui changent tout et gagnent plus font des vocations. Ils encouragent les entrepreneurs à se lancer dans de nouvelles aventures, aventures qui impliquent plus de services de proximité et de services à la personne.
Les banques centrales, pour ne pas faire d’erreurs, doivent comprendre cette nouvelle inflation. Elle sera diffuse, pas très forte. Attention à ne pas trop monter les taux aux Etats-Unis et à les normaliser doucement en zone euro. Les pouvoirs publics doivent diffuser, dès l’école, « l’esprit de l’Intelligence artificielle », ce mariage de l’informatique et des statistiques. Enfin, dans les entreprises, petites et moyennes notamment, il faut former à la « culture de la proximité », celle qui permet de répondre finement aux besoins, en complément de l’Intelligence artificielle.
L’inflation nouvelle est là, modérée, avec le plein emploi de services de proximité. A nous d’expliquer et de former, pour éviter le remède de cheval de taux d’intérêt excessifs, celui de la « vieille inflation ». Il la tuerait certes, et la croissance avec.