Nous, futurs intermittents d’un travail prolongé

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Que non le travail ne va pas disparaître ! Il va se fractionner et s’allonger. Nous allons passer de la logique actuelle, celle de l’horloge, avec ses heures, semaines, salaires, congés et retraites à une autre. Cette autre, ce seront des tâches et des projets, avec des coupures, des aventures, des risques. Ces tâches et projets évolueront dans des réseaux multiples et spécialisés. En même temps, nous allons travailler plus longtemps. Deux façons de voir ce futur : la noire, la nouvelle.

 Nous, futurs intermittents d’un travail prolongé

Illustration : Thibsweb

 

La noire façon de voir les choses, c’est de nous dire que nous sommes les maréchaux-ferrants du futur. Qu’allons-nous donc faire dans l’agence bancaire ou le bureau de poste, si les clients font tout eux-mêmes ? Qu’allons-nous enseigner, si élèves et étudiants passent par des Mooc (Massive Open Online Course) ? Ce n’est pas en travaillant 32 heures qu’on aura un emploi pour des activités qui n’existent plus ! Ce « changement » ne concerne plus seulement le rapport direct à la matière qui a fait passer les agriculteurs à 2 % des emplois en France, les artisans à 6 % et les ouvriers à 21 %. Il affecte les 18 % de « cadres et professions intellectuelles supérieures », les 25 % de populations intermédiaires et les 28 % d’employés qui restent.

La nouvelle façon de voir les choses, c’est de nous dire qu’un autre monde est en train de naître et qu’il faut s’y préparer. Ce « changement » est en fait une « mutation ». Ne disons donc plus « bulle », mais « business model » ! La bulle, c’est la peur qui nous tenaille de s’illusionner. C’est la crainte de payer trop cher l’action d’une entreprise de la « nouvelle économie » (hier) et de « l’économie du partage » (aujourd’hui). Le business model, c’est accepter que ce que nous faisons va changer. Le risque n’est plus de perdre beaucoup en se trompant (la bulle), c’est celui de perdre bien plus en ne changeant ni assez, ni assez tôt. Symétriquement, le gain existe toujours à se préparer le plus en amont possible, en regardant ce qui se passe ailleurs, en s’adaptant, en prévoyant. Et ce gain est plus important aujourd’hui.

Tous branchés ! Nous sommes liés par nos portables et sur Internet, LinkedIn ou autre. Notre vie a changé. Ce n’est pas fini. La montre vérifiera notre tension, notre pouls, nos rendez-vous. La chaussure comptera nos pas. La balance avertira le docteur, tout comme la montre et la chaussure. Notre maison sera connectée et protégée. Notre bureau aussi, sauf que nous y irons moins, nous réunissant par Skype… Le travail de production des choses va demeurer, mais il sera plus préparé et téléguidé. Le travail des rapports de personne à personne va demeurer, mais il sera lui aussi davantage préparé – donc plus profond.

Un travail plus riche nous attend. Il sera plus fouillé car plus relié, avec une forte prime d’expérience à la clef. Big Brother est là, mais le vrai danger n’est pas tant de le craindre que de ne pas savoir ce qu’il fait et comment. L’économie de l’information dans laquelle nous entrons est celle du mélange des savoirs, nouveaux et anciens. Elle n’est pas technique, mais relationnelle.

Dans cette Révolution, la clef est de mieux combiner savoirs techniques et comportementaux. Les contrats dits de travail doivent permettre plus d’intermittences, de combinaisons salaires/honoraires, plus de portage salarial, et prévoir que tout ceci dure plus longtemps que 65 ans. Avec donc bien plus de formations permanentes à la clef.

Le risque majeur de cette Révolution est une nouvelle Terreur : celle de décapiter le capital humain et la croissance qui va avec. C’est ce que les Etats-Unis essayent d’éviter, eux qui combinent aujourd’hui plein emploi et baisse de la population active. Plein-emploi de ceux qui savent, s’adaptent et sont mieux payés, moins les départs de ceux qui quittent le marché du travail, souvent après un long chômage, largués, apeurés, aigris. Ceci met en danger la croissance potentielle américaine et peut creuser le déficit budgétaire. En écartelant l’activité entre bas salaires et compétences en big data, on court le risque de vider le cœur productif en l’inquiétant, parce qu’on ne le forme pas. Alors il épargne plus, au détriment de la croissance actuelle, avant de prendre sa retraite au plus tôt, au détriment de la croissance future – aux Etats-Unis comme ici.

L’économie de la communication, c’est « notre » sortie de crise, si et seulement si nous l’expliquons et nous y préparons. L’intermittence, c’est permanent !

 

Voir sur ce sujet Effet horizon : travailler plus longtemps fait travailler plus, le Zoom du 7 mai.