On nous l’annonce depuis si longtemps, qu’elle finira bien par arriver ! La première fois est très ancienne, sans doute plus un cas pédagogique qu’une vérité : ce serait l’histoire du voisin de caverne d’un peintre primitif à Lascaux. Ce peintre troquait les expositions et présentations de ses œuvres contre des pièces de viande ou des peaux de mouton. Viande et peaux qu’il échangeait ensuite contre d’autres produits ou des heures d’artistes moins doués, pour qu’ils peignent chez lui, ce qui étendait son atelier. Ce qui devait arriver arriva : le voisin, jaloux, fit tout son possible pour limiter l’activité du peintre. Excédé, notre artiste lui achète sa caverne, croyant ainsi avoir acheté la paix. Sauf qu’il donne à ce voisin les moyens de se plaindre à plein temps des inégalités ! On connaît la suite.
Le capitalisme venait de naître. Il allait convaincre la part la plus allante des populations, en dépit des freins et des embûches, et entrainer l’ensemble. Différences de talents ou effets du hasard, écarts d’habileté ou ruse, goûts variés du risque, art d’investir contre amour de la dépense : voilà les ingrédients qui, de génération en génération, font avancer et changer ce capitalisme, en creusant les inégalités. Les normes, les impôts et taxes, mais aussi les crises et les guerres viennent, pour borner ses excès, mais pour un temps seulement. Pour un temps, car la machine à croissance repart, car c’est le jeu des différences et des libertés entre les hommes qui agit et qui gagne, toujours.
C’est pourquoi l’idée vient régulièrement de briser cette machine. On parle de panne, récession, crise ou d’erreur de politique économique quand elle s’arrête, sans que ce soit catastrophique, ou bien de krach, guerre, révolution quand c’est pire, mais dans tous les cas l’angoisse est là, avec la crainte « des pires ». « Des pires », pour graduer les peurs. En matière de pandémies, nous avons eu la peste noire du XIVème siècle et la grippe espagnole de 1918, à côté du Covid-19. Pour les krachs, 1929 est la référence absolue. Puis les deux guerres mondiales s’imposent.
Mais il serait mieux d’en finir avec ce capitalisme, que de l’affaiblir ! Rien de tel que de le remplacer par plus efficace que lui. Pas facile.
Le communisme primitif n’a pas marché. Fait de petites unités nomades, les inégalités y étaient réduites, puisque la chasse aux animaux sauvages ou la pêche à la baleine impliquaient des efforts conjoints, donc des partages équitables des prises. L’inégalité entre hommes et femmes était bien sûr présente. Elle allait augmenter et s’étendre, en fonction des écarts de capacités entre les personnes et les populations, et aussi de stockage, on dirait aujourd’hui d’accumulation, bases de la propriété et de la division des tâches. Le communisme primitif est mort d’une structure égalitariste qu’il ne pouvait maintenir, face à la démographie.
Depuis, qu’on pardonne ce grand saut, toutes les sociétés où l’égalité a été recherchée sans la liberté, ont disparu. Les Représentants du Peuple Français de 1789 ne s’y étaient pas trompés : « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Les communismes n’ont pas respecté ces « droits imprescriptibles », incapables de combiner égalité et liberté, fût-elle « réelle » en termes marxistes. Quelles qu’en fussent les variantes : léninienne, stalinienne, khrouchtchévienne… avant les dons des joyaux de l’empire à quelques amis par Boris Eltsine, la liberté n’a cessé de reculer en Russie, tandis qu’y montaient les inégalités. La Chine n’échappe pas à cette logique, de l’égalitarisme de Mao, où l’absence de liberté ne permet pas la croissance, jusqu’à l’envol voulu par Deng Xiaoping. « La pauvreté n’est pas le socialisme ; être riche est glorieux » dira-t-il. Un message qui forcera Xi Jinping à agir pour endiguer, fermement, l’influence de « ses » milliardaires !
Si les communismes n’ont pu tuer le capitalisme, au contraire, que va-t-il se passer avec sa nouvelle forme : le « capitalisme illibéral » ? Alors que le capitalisme avait avancé avec la démocratie, au point qu’on pensait que ce couple était « la fin de l’histoire », « fin » au sens de « but », d’autres combinaisons s’étendent, en Inde ou en Hongrie par exemple : capitalisme avec peu (ou très peu) de liberté. Enterrer le capitalisme avec la liberté ? Ceci mérite réflexion.