New-York, University club : nous sommes dans le salon où se réunissent les trois grandes agences américaines de notation (rating) des dettes publiques. Elles sont sans témoin, respect (officiel) de la concurrence oblige.
Moody’s : Vous savez, j’ai tenu jusqu’au bout, avant d’abaisser ma note AAA sur la dette américaine. Je n’y tenais plus. Non seulement Biden et ses Démocrates dépensent comme des fous, mais en plus les Républicains lui font un chantage à la faillite du pays, pour faire élire Trump ! Ce sera moins de dépenses sociales disent-ils à Biden, ou alors on fait tout sauter ! J’ai d’ailleurs bien expliqué ma position : « La polarisation politique continue au sein du Congrès américain augmente le risque que les gouvernements successifs ne soient pas en mesure de… ralentir le déclin de la capacité d’endettement ».
S&P : C’était très clair, pour ceux qui veulent comprendre. Et tu as eu raison de tenir plus longtemps que nous, puisque tu es la plus grosse, donc que tu as les moyens d’être plus patiente !
Fitch : C’est bien, ce que tu as fait. Et encore, tu as pris tes précautions en abaissant ta perspective de AAA « stable » à « négative » : tu t’es donné un répit de six mois !
Moody’s : Je comprends que vos félicitations sont sucrées… et salées : c’est le jeu de la concurrence ! Mais, dans six mois, sachez que je prolongerai ce maintien : nous serons en pleines élections américaines et je me suis suffisamment avancée, avec cette dernière décision. N’empêche que je me suis quand même fait engueuler par les gars du Trésor, même s’ils savaient que j’allais la prendre : je les avais prévenus ! « L’économie américaine reste forte et les titres du Trésor constituent le principal actif sûr et liquide au monde », ont-ils répliqué !
S&P : On a tous vu, et j’ai adoré leur réponse, évidente et bête. Tout se passe comme s’ils découvraient que la dette américaine est, en fait, l’actif de tous. Tous les pays émettent leur monnaie, donc leur dette, contre leurs [il appuie sur leurs] réserves dans leurs banques centrales, réserves qui sont nos bons du trésor [il appuie toujours, pour se faire comprendre des autres, qui pourtant savent !]. Notre dette garantit celle de tous, c’est en cela que c’est « le principal actif sûr et liquide au monde » ! Quelle beauté que ce « privilège exorbitant du dollar », comme disait je ne sais quel Français !
Fitch : Tu pousses, mais ce n’est pas faux sur le principe ! Moi, j’ai adoré quand ils ont dit que les engagements de Biden réduiraient le déficit « de près de 2500 milliards au cours de la prochaine décennie ». En fait, l’économie mondiale avance grâce à la progression, mesurée, de notre dette.
Moody’s : Mesurée oui, grâce à nous, si nous voulons rester les grands innovateurs du monde, avec sa première armée.
S&P : Donc, si nous dépensons plus !
Fitch : De façon modérée. Et quand on pense qu’on ne les facture pas pour ces notes qui les sauvent !
Moody’s : Oui, on se fait critiquer, parce qu’ils nous craignent. C’est aussi le prix de la crédibilité qui nous fait vivre pour ce que nous faisons à côté.
S&P : La preuve, c’est ce qui est arrivé à l’agence chinoise de rating, Dagong, qui voulait se comparer à nous. Elle a donné AA aux États-Unis, pareil à la Chine, puis A, avant d’être rachetée par China Reform Holdings en mars 2019, autrement dit nationalisée. Ils ont eu peur de cet agent incontrôlé…
Moody’s : Par eux ! En Chine, nous sommes seuls à être à 100% et nous lui avons donné A1. Là-bas aussi, il faut être très modérées.
S&P : Ils sont si opaques !
Fitch : Et si peu modérés, quand ils s’énervent.
Tous rient.
Moody’s : N’empêche que notre futur aussi
est opaque. Nous devons plus de 33 000 milliards de dollars, soit 1,2 PIB, le Japon 2,6 PIB, l’Italie 1,4 PIB, la France 1,1 et le Royaume aussi Uni que nous 1. Partout la mer de dette monte.
S&P : Oui, mais ce sont les petits qui s’étouffent les premiers — Liban, Tunisie, Nigéria, Pakistan…
Fitch : Pas si petits, ces deux-là.
Moody’s : Il en faut pour tous les continents.
S&P : Et aussi pour toutes les religions — Argentine, Équateur, Sri Lanka…
Fitch : Le FMI n’y suffira pas.
Toutes : Si on ne l’aide pas !
Moody’s : Nous devons freiner les dépenses inutiles pour pousser à la révolution écologique.
S&P : Le problème, c’est que nous sommes meilleurs pour alerter et critiquer que pour donner des pistes d’investissement.
Fitch : Car on pourrait nous le reprocher !
Moody’s : Ce n’est pas notre métier de prendre des risques.
Tous : Là, on est d’accord !