La métropole, c’est la ville mère. Pole avec un petit o grec (omicron), c’est le lieu. Oligopole, pole avec un o long (oméga), toujours chez les Grecs, c’est quelques (oligo) vendeurs. Monopole, c’est un (mono) vendeur. Philopole, mot créé ici pour la circonstance, est le lieu où intervient l’amitié (philo) : il s’agit du vendeur/ami, puisque nous n’avons qu’un seul o dans notre propre alphabet. Un lieu où l’on se sent bien, en confiance, jusqu’à y échanger, y commercer. En fait, d’oligopole à monopole, en oubliant la « concurrence pure et parfaite » des manuels, où les vendeurs sont nombreux et sans influence entre eux, le passage d’un mot à l’autre rend bien compte du changement de monde que nous venons de vivre.
Métropole : le temps n’est plus d’un monde où tout venait à tous, production et distribution, sous le regard maternel, protecteur si l’on veut, du centre américain. Nous étions en 1990, après l’effondrement de l’URSS. Il n’est pas bipolaire non plus, ce temps où États-Unis et Chine pilotaient les transactions, dans le monde assez calme des années 2000-2010, ceci permettant cela. Depuis l’attaque de l’Ukraine par la Russie en 2022, cette bipolarité de façade a éclaté, après des années d’usure et de tensions. Nous voilà dans un monde multipolaire, mot aimable qui recouvre une réalité où certains responsables (Russie, Chine, Turquie, Iran, Inde…) veulent recouvrer leur ancien pouvoir, faisant éclater l’organisation d’après-guerre « façon puzzle ».
Tout avait bien commencé : la division internationale du travail donnait naissance à un monde inégal certes, mais qui « fonctionnait » sous égide américaine. Il permettait des chaînes de valeur optimisées, qui épousaient au mieux les compétences de chaque entreprise (et les différences de fiscalité entre pays), au prix de voyages multiples, sûrs mais ni très chers, ni écologiques.
Monopole : avec son succès, la croissance américaine demande des productions croissantes, en quantité sinon en qualité. La Chine suit. Après Mao, ses dirigeants ont bien compris qu’elle ne pourrait sortir de la pauvreté de masse qu’en exportant plus vers les États Unis, donc en se mettant dans leur sillage. Pendant des années, le « miracle chinois » a ainsi alimenté la double expansion sino-américaine, avec la naissance puis le développement de grandes entreprises chinoises. Elles exportaient des biens pas chers, donc la Fed appréciait, tandis que la Chine achetait des titres américains de dette publique, donc le Trésor appréciait.
Mais les histoires « gagnant gagnant » ont une fin. La montée de la Chine fait naître des géants : l’atelier du monde veut profiter de sa situation. Les monopoles en devenir inquiètent les autorités américaines, au moment où le Président Xi développe ses « routes de la soie ». Des histoires d’espionnage industriel et de données privées s’étendent partout, fournissant d’utiles prétextes.
L’« hyper-puissance américaine » prend peur, laissant s’étendre d’autres pays de moindre envergure, avec leurs désirs de revanche. Les changements climatiques, plus la pandémie de Covid, font apparaître des fragilités, allant des masques au Paracétamol. Les prix du pétrole, les soucis écologiques, les tensions guerrières et sécuritaires font voler en éclats ce qui restait du modèle. Ceci pèse encore sur les prix, malgré les taux d’intérêt élevés des banques centrales.
Friend shoring, philopole vient alors : notre vocabulaire s’élargit. Les entreprises, sous la pression des États, et avec leurs subventions, revoient leurs organisations de production. Les États Unis commencent le processus, inquiets de voir leurs puces les plus avancées faites à Taïwan, par le monopole TSMC. Des milliards de dollars vont alors pleuvoir pour qu’une filiale s’installe aux USA, sous prétexte de lutter contre… l’inflation. L’Europe, après avoir protesté, met quelques milliards (mais moins) dans une opération semblable, côtés français puis allemand. Chacun attire les talents et soutient les leaders de la révolution technologique. Ils donneront naissance à des monopoles locaux, vite. Avec des monopoles chez soi ou un ami, le friend shoring devient le philopole dominant ! Plus cher, mais tellement plus sûr !
Notre monde se restructure, les amis des uns n’étant pas forcément ceux des autres. Une nouvelle bipolarisation naît, pas idéologique comme en 1950, mais revancharde, religieuse, raciale puis économique. Voilà de nouveaux rideaux de fer, soudés : il faudra y gagner.