« Meslez-vous doncq de vos oignons » !

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Or çà, qu’est-ce à dire, ou bien alors : « mélé vou don de vo ognon » ! La crise est partout, et on attaque désormais le s et l’accent circonflexe ! « Tou fou le can » !

 « Meslez-vous doncq de vos oignons » !

Dans la crise qui nous étreint, avec le chômage qui s’enkyste, il faudra désormais dire que « le chomage senkiste », pour le faire reculer ! Les mots qui se simplifient aideront à vaincre cette réalité d’autant plus résistante qu’elle est toujours plus complexe. Nous n’avons rien d’autre à faire que de discuter de l’orthographe des « nénufars », quand la reprise s’essouffle ? Sus aux th et aux ph qui nous viennent du grec ! Notre économie – et la leur – n’en iront que mieux. Oublions le latin, pour aider aussi cette Italie souffrante. Oublions en même temps tout ce qui nous vient d’ailleurs et nous perturbe tant : le flouz et l’al quaïda arabes, le paradis iranien, le bistro russe, le OK et le KO saxons, la corrida hispanique et le zeitgeist germain… Eradiquons tout ce qui n’est pas national !

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi lire encore ces livres écrits dans ce français désormais si compliqué, sans compter bien sûr Cicéron et Platon, en attendant de faire subir ce même traitement à Shakespeare et à Goethe ? Allons donc plus vite vers l’infiniment simple, l’inculte. Tel ancien Ministre aime Zadig et Voltaire – liant ainsi le savoir à la vêture (pardon : B.A.BA, véture). Telle autre (qui fut chargée de la culture, « chargée » étant le mot) n’a pas encore lu Modiano – mais pourra désormais le faire.

Tout ceci serait dérisoire, si ce n’était tragique. Les Français aiment leur langue et entendent la défendre. Mais la défendre, c’est toujours la propager, jamais l’ensevelir. Le débat sur le sujet est permanent et il est dommage que le Français recule. Mais c’est avec notre économie, nos idées et nos inventions qu’il se remettra à avancer. Modiano fait évidemment beaucoup pour la langue avec son Prix Nobel de littérature, mais tout autant Jean Tirole avec son Prix Nobel d’économie. Une langue est une intelligence du monde.

Aujourd’hui que la reprise faiblit et que l’emploi est surtout celui de l’interim (mot d’origine latine), il serait bon de se demander si ce qui nous freine n’est pas moins la complexité de la langue que celle de nos règles et codes divers. Aujourd’hui où les entrepreneurs baissent les bras, mieux vaudrait s’inquiéter de la lourdeur des taxes que du poids de la grammaire. Nous sommes ainsi faits que nous nous occupons du secondaire, tant le principal demande du courage. Que de temps et d’énergie perdus !

Machiavel se dirait que tout ceci n’est pas sans origine. Pour lui, il y a quelqu’un, quelque part, qui nous détourne de l’effort, de la prise de risque, de l’embauche. Il y a quelqu’un qui nous fait discuter de l’abandon du latin avec des Ministres qui ne l’ont jamais rencontré, alors que la demande monte d’enseigner les langues régionales ! Pauvre Descartes ! Mais même pas : pas de manipulation dans tout cela. Nous voilà dans l’anecdote, dans la multiplication des moins que rien. C’est pire que l’inutile : le nuisible, le pur détournement de ce qu’il nous revient de faire.

Il faudra bien en sortir : par l’économie, la formation, l’innovation, la prise de risque, la mondialisation, la diffusion de nos idées et savoirs dans le monde. Un monde qui ne nous attend pas. Alors, pour être plus au monde, il nous faut quand même plus de jeunes formés aux langues, dont le Français et l’Anglais, dans des entreprises plus simples, souples et allantes. Alors, il faudra plus d’agilité et d’Uber, Blablacar et autres Airbnb, avec moins de bâtons (pardon : batons) dans les roues.

Etre national, c’est bien ; binational, c’est mieux ; tri-national, c’est mieux encore. « Meslons-nous doncq nous-mesmes de nos oignons  » ! La chose n’est pas aisée, moins encore quand certains dirigeants politiques se plaisent à rendre aux jeunes, aux séniors et aux entrepreneurs la tâche plus complexe, en croyant que c’est cela, s’occuper de leurs ognons ! Suivons donc Victor Hugo : mettre « un bonnet rouge au vieux dictionnaire » ne peut servir qu’à soutenir « l’essaim blanc des idées » !