Valse des hausses des taux : les Etats-Unis, par Fed interposée, poussent-ils la zone euro vers la récession ? Ou pire…

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En poursuivant sa stratégie de lutte contre l’inflation, la Fed paraît bien peu se soucier de ses partenaires et alliés ainsi que des pays émergents.

Valse des hausses des taux : les Etats-Unis, par Fed interposée, poussent-ils la zone euro vers la récession ? Ou pire…

« Non, bien sûr ! », dira la Fed, la Banque centrale américaine.

Mais on peut quand même se poser la question tant, en suivant son mandat de lutte contre l’inflation, la Fed paraît bien peu se soucier des autres, partenaires et alliés, sans mentionner les pays émergents, qu’elle affaiblit tous davantage. La Fed répondra qu’elle est au courant de cette situation, comme tous les autres pays d’ailleurs, qui savent bien qu’elle doit réagir quand « son » inflation passe durablement au-delà de 2%. N’empêche : tous ces pays s’inquiètent, se plaignent et cherchent à la freiner. Le FMI lui-même envoie des messages inquiétants sur les risques qui montent sur la stabilité financière mondiale. La Fed fait alors dire, par un de ses dirigeants, qu’elle n’y croit pas beaucoup : les marchés bancaires et financiers sont solides, selon elle… chez elle. Donc les hausses de taux de la Fed vont continuer et pousser la BCE, Banque Centrale Européenne, à faire pareil, menant la zone euro au bord de la récession. Ou pire ?

 

Deux hausses à venir côté américain

Ainsi tout le monde pense au 2 novembre, où la Fed devrait monter ses taux de 0,75%, jusqu’à atteindre 4%… pour contrer une inflation à 8,3% ? Elle n’a donc pas fini, pour joindre son objectif de 2% ! D’autant plus que l’emploi américain résiste à ces hausses. En septembre en effet, ce sont 263000 emplois qui ont été créés, plus que les 250000 prévus, et surtout avec un taux de chômage qui rebaisse à 3,5% contre 3,7% le mois d’avant, soit son point le plus bas depuis 29 mois. Le marché du travail reste donc trop tendu pour la Fed. Certes, quelques signes de faiblesse apparaissent : le salaire horaire semble décélérer depuis juillet, les offres d’emploi baisser et le taux de chômage des jeunes monte un peu. Tout cela va dans « le bon sens » pour la Fed : celui d’une hausse du chômage qui calmera les salaires puis l’inflation, mais ne suffit pas pour lui faire baisser la garde. Elle concocte donc une hausse des taux courts pour le 2 novembre, puis une pour le 14 décembre, afin de finir l’année avec des taux courts américains à 4,75%, sauf crise bien sûr. Elle verra alors.

En fait, les Etats-Unis vont assez bien pour se permettre une telle série de hausses de taux aussi rapprochées, sans exemple depuis les années 1980, et montrer au monde que la Fed peut rejoindre 2% d’inflation avant tous et en payer le prix, même social. Certes, on pourra dire que la Fed joue gros jeu, sauf si elle se dit qu’elle gagnera en crédibilité, avec des taux longs qui baisseront et un dollar qui donnera une leçon au monde.

 

Et voilà l’Opep+ !

Opep+, + pour dire que la Russie se joint au peloton et participe à cette course au ralentissement mondial. Elle réduira de 2 millions de barils par jour sa production, à partir de novembre. Le cartel entend maintenir son chiffre d’affaires, puisque le ralentissement économique fait mécaniquement baisser le prix du brut ! Évidemment ce choix est inflationniste, puis récessioniste, davantage critiqué aux États-Unis qu’ici, un peu pour ces raisons et plus parce que l’Arabie saoudite se trouve ainsi soutenir la Russie ! En plus, augmenter le prix de l’essence pousse à diversifier les approvisionnements, aux économies d’énergie et aux innovations, allant des éoliennes aux voitures électriques… à long terme. Étranges calculs.

 

Et la zone euro, alors ?Deux hausses… et un énorme bazooka !

Dans ce contexte de double inflation, interne par les salaires et externe par la hausse des prix de l’énergie accrue par la faiblesse de l’euro, la Banque centrale européenne aura encore moins le choix que la Fed. Le 27 octobre, puis le 15 décembre à Frankfort, nous pouvons nous attendre à deux hausses de taux de 0,75%, pour arriver à 2,75% fin décembre. Mais ce sera 2 points de pourcentage de moins qu’aux Etats-Unis, pour une inflation de 1,7 points de pourcentage de plus ! Il n’y a donc aucune raison pour que l’euro se reprenne par rapport au dollar dans les mois qui viennent, puisqu’il sera toujours moins bien rémunéré, ceci sans oublier les inquiétudes liées à l’Ukraine et ailleurs, plus les situations économiques et politiques, en France et en Europe. Ceci donne une décélération plus forte de l’activité économique en zone euro, avec un nouveau cocktail : inflation, montée des déficits budgétaires, donc des programmes d’emprunts et des taux longs en hausse.

Il faut alors un « énorme Bazooka » ! Pour que la zone euro s’en sorte, il faut qu’elle protège son point le plus faible : l’Italie. Le pays est très endetté (Dette/PIB = 150%), sans croissance et en plein marasme politique. Même si, en général, l’Allemagne est réticente à ces soutiens qui bénéficient plus à un pays donné et préfère lui demander de « faire des efforts », sa propre situation avec la Russie, qui la force à beaucoup s’endetter, peut la rendre plus souple. En tout état de cause, la BCE ne pourra monter ses taux sans préciser les contours et la taille de l’ITP, Instrument de Protection de la Transmission, son nouvel outil créé fin juillet 2022. Il s’agit avec lui de « soutenir la transmission efficace de la politique monétaire… à mesure que le Conseil des gouverneurs poursuivra la normalisation de la politique monétaire », autrement dit : avec la hausse des taux. Il s’agit donc d’assurer le bon fonctionnement du système bancaire dans la zone, au moment où il est soumis à de fortes tensions, pour éviter des paniques, comme en 2012.

 

L’Allemagne emprunte à 10 ans à 2,2%, l’Italie à 4,8% et voilà trois Prix Nobel sur les crises financières qu’il faut écouter !

Attention à l’emballement en cours : début août, les taux longs allemands étaient à 0,8%, les taux italiens à 3% : les premiers ont été multipliés par 2,75, les seconds par 1,6. Attention aux dérapages, surtout s’ils touchent les meilleurs. Et les bourses baissent ainsi partout, mais différemment : de 10% depuis début août en Allemagne, de 9,7% à Paris et de 7,5% en Italie.

C’est ici qu’il faut revenir aux trois Prix Nobel d’économie du 10 octobre. Diamond Douglas et Philip Dybvig sont récompensés pour leurs travaux sur les paniques bancaires, les runs, et Ben Bernanke non seulement pour les avoir analysées mais encore éteintes, quand elles embrasaient le monde, avec le quantitative easing. Un quantitative easing vis-à-vis duquel le bazooka européen est un modèle réduit.

Aujourd’hui, tous les marchés sont liés et nerveux. Les paniques bancaires et financières sont de plus en plus proches, quand l’activité baisse et les taux montent. Les prix Nobel nous le disent, à Christine Lagarde de convaincre ses collègues allemands et aux politiques de voir les vrais risques : les guerres et les révoltes, les risques bancaires et financiers, pas l’inflation.


Atlantico

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