Regardez le Japon, d’où viendra la prochaine crise bancaire et financière

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Regardez le Japon, d’où viendra la prochaine crise bancaire et financière

Les 27 et 28 avril approchent : c’est alors que la Banque centrale du Japon se réunira pour la première fois sous la présidence de Kazuo Ueda. A 71 ans, ce professeur émérite à l’Université de Tokyo, puis professeur à l’Université pour filles Kioritsu à Tokyo, succèdera en effet à son aîné : Haruhiko Kuroda, 78 ans. Lui, pendant des années, en silence et méticuleusement, a acheté des tas de bons du trésor. Ce quantitative easing était destiné à faire baisser les taux longs pour soutenir la croissance japonaise, puis à faire baisser les taux courts et atteindre ainsi 2% d’inflation. Avec le temps, il a accumulé l’équivalent de 3,6 mille milliards de dollars en bons du trésor et mené les taux courts à -0,1% !

Pas de surprise donc si les banques japonaises ne cessent de souffrir, puisqu’elles taxent leurs déposants sans pouvoir augmenter les taux de leurs crédits. Pas de surprise non plus si le Japon devient la source de tous ceux qui veulent s’endetter en yens, quasiment pour rien, et qui les transforment en dollars, ou en une autre monnaie sûre, qui paye bien… plus. Pas de surprise enfin, si le yen est donc une des plus faibles parmi les grandes monnaies du monde, à 100-130 yens pour un dollar depuis 1990, en baisse par exemple de 7% sur un an. La vraie et mauvaise surprise est que la croissance japonaise n’a pas bénéficié de cette médecine monétaire : elle est toujours autour de 0%, les gains à l’export permis par le yen faible ayant été « mangés » par la hausse du prix du pétrole.

Le « jeune » patron de la Banque du Japon va donc trouver le « trésor » qui est la contrepartie de la politique de son prédécesseur. Cette épargne japonaise qu’il a fait partir et qui s’est « convertie » détient aujourd’hui 10% de la dette publique australienne, 8% de celle de la Nouvelle Zélande et 6% de celles de Singapour et de l’Inde. Donc l’épargne japonaise « tient » l’Asie. Il ne faut pas oublier non plus dans cette liste : 6% des dettes publiques de la France, 5% de celles du Royaume-Uni et 4% des États-Unis. A cela, ajoutons 3% des capitalisations boursières française et anglaise et 4% de l’américaine, liste non exhaustive. L’épargne japonaise explique donc largement pourquoi les taux longs étaient et demeurent si bas dans le monde, et les bourses partout si résistantes. Elle est la grande alliée des achats de bons du trésor par les banques centrales américaine et européenne, la seule surtout qui ne s’est pas encore retournée, en ne montant pas ses taux.

Les marchés financiers mondiaux vont donc écouter les premiers mots et deviner les premiers actes du Gouverneur. Évidemment, il devra être très prudent, mesuré et jurer d’être graduel. Baisser les taux est bien plus facile que les monter, car il s’agit d’empêcher le plongeon de l’économie : tout le monde est d’accord. Mais les monter suppose que le pire est passé, puisque l’inflation est revenue. Mais cette inflation qui renaît est-elle une réaction, après des années de crise et compression des marges, ou bien l’annonce d’un vrai changement ? « Le pire est passé », mais est-ce bien sûr ? C’est peut-être trop tôt. Et la reprise est-elle assez solide ? Mais si Kazuo Ueda est mal compris ?

Le nouveau gouverneur dira qu’il veut être sûr que cette inflation signale un vrai regain de la consommation, de l’investissement et de la productivité. La croissance qui sortira de la stagnation, dans une population qui baisse, serait donc solide. Il prendra son temps, faisant par exemple passer en octobre ses taux courts à 0% (!) et ses taux longs à 0,6% (!). Mais ils demeureront quand même les plus bas de tous.

Malgré tout, aller très doucement ne peut faire oublier une double réalité. La première est que le Japon est le pays le plus endetté du monde : avec un rapport dette publique/PIB de 264%, toute augmentation des taux pèsera sur les frais financiers du pays, 180 milliards de dollars l’an. La deuxième réalité est l’extrême nervosité des marchés bancaires et financiers, telle que vient de l’illustrer la cascade des crises des startups de la technologie, des cryptomonnaies et des banques. La banque SVB spécialisée dans la technologie, et qui doit fermer. Signature Bank, dans les cryptomonnaies, doit se vendre. Crédit Suisse, pour les dépôts jugés « sûrs », est avalé par UBS, jusqu’à inquiéter la Deutsche Bank. Jamais, les fuites des dépôts n’ont été aussi rapides ! Le Bank run, cette fuite, ne se passe plus au guichet comme il y a  deux siècles, au DAB comme il y a un demi-siècle, mais par virement par ordinateur ou par Iphone. Ceci en attendant la monnaie électronique banque centrale, le fameux e-euro, dans un ou deux ans, jusqu’à 3000 euros par personne : la monnaie la plus sûre et la plus rapide de toutes. Comme si l’instabilité des flux monétaires n’était pas suffisante !

Attention aussi au jeu actuel qui consiste à s’endetter en yens pour les transformer en dollars pour 5% : le marché des changes va être secoué. Même si on nous dit que la hausse des taux japonais n’est pas pour tout de suite et sera graduelle, l’état d’esprit va changer. Il faut que le monde bancaire et financier ne soit pas pris par surprise : les taux longs vont partout monter, les pertes obligataires cesser de se comptabiliser en secret, pour apparaître au grand jour si une banque, prise à la gorge par des besoins de liquidités, Kazuo Ueda doit vendre ses titres publics. C’est le signal du run : de protections sûres, ils deviennent poison.

Attention alors aux banques japonaises : elles ne gagnent pas leur vie avec cette politique monétaire. Elles sont devenues l’étincelle du système. Les crédits qu’elles font égalent presque ceux que leur fait la Banque centrale pour leur tenir la tête hors de l’eau ! Qui s’en effraie ? Comme toujours, les banquiers de tous les pays nous diront que rien ne menace, rejoints par les banquiers centraux : c’est donc grave. Ils savent tous que ce nouveau gouverneur préviendra et sera prudent, quand il pressera sur le bouton de la hausse des taux, et sans dire quand il recommencera. La forward guidance est morte, l’incertitude est partout. N’empêche, les marchés ont beau prétendre être prévenus, calculateurs, adultes… c’est quand la hausse se produit vraiment que l’affolement vient. Encore quelques mois.


Atlantico

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