Prochaine élection ou prochaine génération ? La question du rapport Blanchard-Tirole aux candidats à la présidentielle de 2022

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La Commission présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole a présenté son rapport qui contient des pistes pour agir contre le changement climatique, les inégalités et le vieillissement de la population. La commission sur « les grands défis économiques » plaide pour une taxe carbone et un régime de retraite qui incite les Français à travailler plus longtemps.

Prochaine élection ou prochaine génération ? La question du rapport Blanchard-Tirole aux candidats à la présidentielle de 2022

La France est une maison de rapports, un par semaine au moins, mais celui-ci paraît plus que les autres promis à l’oubli, du fait de son extrême qualité. Comment : oser ne pas parler des élections à venir, mais plutôt de ce qui les dépasse et les détermine ! Comment oser nous poser ainsi des questions qui nous forcent à réfléchir, pour choisir à moyen et long terme ! Ce rapport de 507 pages, remis le 23 juin au Président Macron sur « Les grands défis économiques » par un groupe d’économistes internationaux (dont un tiers de Français), sous la présidence d’Olivier Blanchard (ancien chef économiste du FMI – notamment) et de Jean Tirole, Nobel d’économie est en effet une vraie provocation (polie).

Quelle audace que de s’attaquer à ces « trois défis structurels à long terme : le changement climatique, les inégalités économiques et le défi démographique » ! Ils vont, certes, peser sur plusieurs quinquennats si on commence à les relever, et plus si on les repousse : est-ce une raison pour soulever ces questions ? Pire, ce rapport entend aborder ces trois sujets cruciaux sans leur donner de solution simple. En général, on entend que « les riches doivent payer » ou mieux : que « c’est la responsabilité des entreprises », pas ici. Pire encore, ce rapport ne réunit que des économistes de taille mondiale. Il choisit une seule discipline, sachant évidemment qu’il y a d’autres approches. L’idée est de ne pas noyer les analyses pour noyer les décisions, comme nous le faisons toujours en France, dans le social, le psychologique ou encore le politiquement admissible. Bien sûr, tout est complexe, de plus en plus même, pour peser les pour et les contre avant de choisir une stratégie, mais il faut le faire. Avec le prix à payer, à établir, à afficher, à répartir.

Les « gilets jaunes » sont partout dans ce texte, hantise des politiques qui veulent les éviter, souci des économistes qui ne peuvent que les affronter, s’ils veulent avancer des réformes… ce qu’ils font. En effet, il n’y a pas de miracle en économie : tout changement fait, à court terme au moins, des gagnants et des perdants. Vouloir « tout compenser » implique qu’il n’y aura aucun intérêt à changer, au contraire. Aux coûts des compensations pour tous, s’ajoutent ceux des changements qui ne serviront pas ! Si l’on peut comprendre la révolte des « gilets jaunes » face à la hausse du prix de l’essence qui suit la limitation de vitesse et la fermeture de l’agence bancaire du village, pour qu’il se rapproche de son lieu de travail, ou bien qu’il paye le surcoût lié à la pollution des moteurs à combustion, on comprend aussi que compenser la hausse conduit à ne faire changer aucun comportement.  « Subventionner » un changement de véhicule, autre piste, combine surcoût pour l’acheteur, déficit budgétaire, dette et déficit extérieur accrus ! « Gagner au changement pour tous », c’est toujours à long terme en fonction des bons choix et des bons nouveaux comportements.

Vérité 1 du rapport : subventionner l’un, c’est au moins taxer quelqu’un d’autre, ici ou ailleurs. Il n’y a pas de solution miracle, sans effet pervers.  « Utiliser de l’argent public pour financer de la R & D en faveur du captage et de la séquestration du carbone, c’est subventionner l’Arabie saoudite et la Russie » lit-on dans ce texte : quel scandale que parler aussi « vertement » !  Et ce n’est pas fini ! Car subventionner l’éolienne, c’est de la pollution visuelle, sonore ou maritime. Et pourquoi donc subventionner le panneau solaire sur le toit d’une maison et pas un ensemble de panneaux, regroupés, plus efficaces, mieux entretenus et reliés au réseau ? Pour des effets d’émulation ? Et comment avoir alors le courage d’arrêter la subvention de ces « convertis » ?

Vérité 2 : les inégalités en France sont plus un phénomène de perception et de crainte sur le futur qu’une réalité statistique. Lutter contre les inégalités implique donc, surtout, de former plus et mieux à l’école, et en permanence en entreprise pour avoir et garder un « bon emploi » que taxer. « Dans les comparaisons internationales, les données statistiques de la France en matière d’inégalités de revenus, d’inégalités de patrimoine et d’inégalités régionales ne sont pas mauvaises. De plus, à la différence de ce qui s’est produit dans beaucoup d’autres pays, elles ne se sont pas dégradées au cours de la période récente. Cependant… les Français ne croient pas à l’égalité des chances dans l’éducation et l’emploi, et sont sceptiques quant à la mobilité sociale, ce qui concorde largement avec la réalité. » Certes, le rapport propose d’améliorer la collecte fiscale en recourant plus à l’intelligence artificielle (à un meilleur « dépistage » en fait) et à une refonte des droits de succession (taxer les héritiers, pas les donateurs), une percée qui paraît surtout conceptuelle, à ce stade. Mais au-delà du buzz de cette réforme de l’héritage, l’essentiel reste la formation et l’innovation. 

Vérité 3 : la retraite, il faut former plus et mieux (encore !) pour travailler plus ! « Pour que le système de retraite reste à l’équilibre, l’allongement de l’espérance de vie impose soit de réduire les prestations, soit d’augmenter les cotisations, soit de relever l’âge de la retraite. Les dépenses publiques de retraite sont élevées en France, principalement en raison d’un taux d’activité des personnes de 55 à 64 ans et d’un âge effectif de départ à la retraite très faible par rapport aux autres pays. Le système de retraite devrait être unifié, devenir plus transparent et plus juste » ! D’où l’idée d’une retraite par points, graduellement appliquée dans le privé puis dans le public. On retrouve l’idée d’unifier les systèmes, pour les équilibrer dans leur ensemble, avec des souplesses pour l’attribution des points, travaux pénibles, enfants, avec l’idée d’éviter les trop petites retraites.

Solution 1 : transparence, c’est le mot clef du rapport. Aux élus d’expliquer de choisir comment avoir plus de croissance, dans une Europe et une France qui perdent pied dans la concurrence mondiale entre États-Unis et Chine, à proximité de la Russie et de la Turquie notamment, sans oublier les problèmes d’émigration que l’Afrique pourrait poser.

Solution 2 : indépendance vis-à-vis des politiques. Ils peuvent se laisser influencer ou « capturer » par les lobbies et autres groupes de pression. C’est pourquoi le Rapport propose la création de nombre d’agences de mesures et de suivi indépendantes, notamment une sur le modèle de la BCE, qui baliserait l’évolution du prix du carbone et une autre, pour les retraites, qui déterminerait le prix du point.

Demander aux politiques de traiter des problèmes complexes pour en confier ensuite la gestion à des entités indépendantes d’eux, pour obtenir un bon résultat dans la durée : quelle provocation ! Il faut donc oublier le rapport Blanchard-Tirole !


Atlantico

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