Présidentielle 2022 : l’élection se jouera-t-elle d’abord sur la politique, l’économie ou la géopolitique ?

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Alors que les prémices de la campagne présidentielle se profilent, les enjeux du scrutin pourraient être multiples avec les conséquences de la pandémie.

Présidentielle 2022 : l’élection se jouera-t-elle d’abord sur la politique, l’économie ou la géopolitique ?

 

D’abord politique bien sûr, puisque toute la suite en dépend : quelle question ! C’est d’ailleurs ce que nous adorons. Après le grand duel télévisé tant attendu à la fin du premier tour, ce combat des fauves, viendront les élections des députés et la majorité de la Chambre qui votera les lois, d’autant plus décisives que l’issue du duel aura été claire. Politique bien sûr donc, puisque tout se prépare d’ores et déjà pour le duel, avec quatorze mois d’avance. Tous critiquent l’actuel Président, puis chaque concurrent ceux qui se distinguent chez ses opposants prévus, puis ses concurrents éventuels au sein chaque parti, le tout en scrutant les interventions, les joutes et les sondages de tous. Il est donc bien trop tôt pour voir se dessiner des thèmes, des programmes. Nous en sommes aux personnes et à leurs combinaisons, entre amis et ennemis, « compatibles » et « incompatibles », en pensant aux alliances et aux rapprochements. Chimie, pondérations, allergies, rumeurs, poisons, embrassades et retrouvailles : nous adorons. Chaque candidat « à quelque chose » avance, compte ses alliés et ouvre des sites, pour recueillir et tester des idées – et des noms. Nous vivons le moment de la politique interindividuelle, avec un mantra à répéter en boucle : « les Français ne veulent pas la répétition du duel Le Pen Macron ». Cette phrase, sous couvert d’un changement d’idées et de responsables, touche Emmanuel Macron, l’ancien gagnant et plus encore Marine Le Pen. Elle prépare un ou deux morts. La question « politique » du moment est donc de savoir à quoi ressemblera le duo gagnant du premier tour, pour préparer des alliances avant et après, sans trop d’irréparable aujourd’hui.

 

La part de l’économie dans les programmes qui s’esquissent sera donc contrainte, la question étant en fait de savoir comment une large part des sujets, communs, sera traitée, dans quel ordre et avec quelle pondération : sanitaire, emploi, protection sociale, croissance, impôts, inégalités, dette… Bien sûr, il y aura toujours un angle, mais il sera autour d’une « Union pour sortir ensemble et renforcés de la crise sanitaire et sociale », bien plus social qu’économique donc. Il est assez peu probable en effet que l’on ait un programme axé sur la demande, qui soutiendrait les salaires au moment même où les entreprises hésitent tant à embaucher et les ménages à dépenser leur épargne. On parlera certes de la proposition de quasi-doublement du salaire minimum à 15 dollars de Joe Biden, mais pour faire bien remarquer qu’elle ne suscite pas l’enthousiasme du Congrès, tandis que monte aux États-Unis le nombre d’inscriptions au chômage. Il est encore moins probable que l’on parle de l’offre, de la baisse dangereuse de la croissance potentielle (à 1%), du creusement du déficit extérieur, du renforcement des start ups et des pôles de compétitivité, de la faiblesse des Entreprises de Taille Intermédiaire, sauf pour dire qu’il faut former plus et mieux. On n’insistera pas sur le fait qu’il faudra que les entreprises s’endettent plus ou, pire encore, deviennent plus grosses et plus rentables pour répondre à la révolution technologique mondiale en cours. L’inégalité deviendra la grande question – à réduire, avec « l’ascenseur social » – à réparer, en parlant d’impôts à augmenter (ou non) sur le revenu, ou à étendre (ou non) sur la fortune. Est-ce sérieux de réduire ainsi les problèmes et les solutions?

 

La géopolitique risque d’être la grande absente des programmes, pour cause de triste réalisme, cet ennemi des sondages et de la « politique » que nous aimons tant. Le Brexit a refroidi le Franxit et tout le monde se rend compte que les crédits que font les banques et le déficit du « quoi qu’il en coûte » ne sont possibles que grâce à la Banque centrale européenne, donc à l’appui de l’Allemagne. Que la France s’endette à taux négatif à dix ans tient certes d’une structure européenne lente, complexe… mais qu’il ne faut pas casser, tant elle est fragile et irremplaçable. Comment faire, autrement, pour payer nos dépenses publiques, qui sont le double de nos rentrées fiscales ? « L’Europe puissance » et « l’autonomie stratégique » vont faire partout leurs entrées, certes en critiquant leurs versions macroniennes, mais il est bien difficile de prôner aujourd’hui le désarmement, la baisse des dépenses militaires et de cybersécurité quand les États-Unis regardent plus vers l’Asie, que la Chine s’approche et que nous sommes de plus en plus pris entre les GAFAM et les « routes de la soie ». On peut toujours vouloir une France plus verte, des aliments plus bio, des villes mieux dessinées, de meilleures conditions d’existence, mais nous devons réparer les effets du virus et contrer le réchauffement climatique, mais comment, sans une réindustrialisation européenne, sachant que la Russie et la Turquie sont de plus en plus hostiles et que la Lybie est à 350 kilomètres des côtes italiennes, comment, sans une défense plus intégrée qui intègre l’Afrique? Et ainsi de suite.

 

Qu’on le veuille ou non, le cadrage géopolitique est devenu le point de départ obligé des programmes de tous les candidats à la Présidentielle. On le voit, en creux, à partir des sondages qui traduisent les limites de cette « politique » que nous aimons. 36% des Français accordent leur confiance au Président pour « affronter efficacement les problèmes du pays », 60% ne le font pas, dont 31% pas du tout (Enquête Elabe). Mais 27% des Français seulement (Enquête linternaute) pensent que Marine Le Pen ferait mieux que lui, ce qui est le pourcentage le plus élevé devant Xavier Bertrand (21%), Jean-Luc Mélenchon (18%), Anne Hidalgo (17%) ou, plus loin, Yannick Jadot (10%) !

 

Partir de la géopolitique est une obligation dans le monde qui est devenu le nôtre : la vraie politique n’y perd pas, au contraire. Mais elle devient plus complexe et s’éloigne des slogans et des « cadrages économiques » intenables, avec débats et affrontements creux à la clef qui se préparent. Pourtant, c’est bien ainsi que l’on s’éloigne des promesses déçues qui nourrissent le populisme. Pour améliorer la situation de la France et des Français dans le monde, il faut partir de ce qui s’y passe, des vrais rapports de force, et le dire. Je sais : c’est moins fun.


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