Plan de relance européen : Macron et Merkel face au défi de l’approbation des autres Européens

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Emmanuel Macron et Angela Merkel ont dévoilé un plan de relance à 500 milliards d’euros à l’échelle européenne. Cette décision pourrait être un tournant dans l’histoire de cette crise. Si ce plan aboutit, la dette levée sur les marchés financiers sera répartie au sein de l'Union européenne, comme le voulait la France.

Plan de relance européen : Macron et Merkel face au défi de l’approbation des autres Européens

Atlantico.fr : Hier, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel ont présenté une « initiative franco-allemande » pour relancer l’activité de l’Union européenne après la crise sanitaire du coronavirus : un plan de relance de 500 milliards d’euros financé par des emprunts sur les marchés « au nom de l’UE ».
 
Que symbolise cette initiative sur le plan de l’économie européen ? 
Jean-Paul Betbeze : Elle symbolise, ou plutôt elle démontre, que nous n’avons pas le choix des moyens face à la pandémie, si nous voulons éviter notre effondrement. Il nous faut agir plus, agir ensemble et partager les risques. L’histoire politique s’accélère en effet, en même temps que la crise économique, financière et sociale s’approfondit partout, en zone euro et ailleurs. Il faut donc réagir, ici, au moins autant qu’ « ailleurs ». Les chiffres publiés « ailleurs » aident ainsi, paradoxalement, en montrant la profondeur de ce qui s’y passe et des moyens avancés pour aider, « ailleurs », à en sortir.

C’est ainsi que Jay Powell (le Président de la Banque centrale américaine) parle d’une baisse de 10% du PIB américain au deuxième trimestre, après 1,5% au premier (les prémisses de l’effet COVID-19), tandis que 3 000 milliards de dollars de déficit budgétaire supplémentaires sont prévus (en attendant plus). La comparaison des crises et des moyens force, ici, à agir et plus encore à franchir les « anciennes » limites. Sinon, la zone euro souffrira d’un double effet virus : celui de le subir d’autant plus qu’elle aura réagi moins que d’autres. La croissance et l’emploi en souffriront d’autant plus, les marchés financiers et les agences de rating le diront assez tôt.

Cette « initiative » commune était indispensable, et ce n’est évidemment pas fini. Surtout, l’architecture de ces 500 milliards est une nouveauté. C’est l’Union européenne qui s’endette et devra rembourser, en fonction du « poids » de ses membres, sachant qu’elle décidera ensuite de distribuer ces milliards en dotations budgétaires aux différents états membres selon qu’ils auront été touchés, par régions ou secteurs, par la crise sanitaire. C’est donc un système à deux niveaux, où l’on voit tout de suite que l’Italie (prise bien sûr au hasard) percevra plus de ces 500 milliards que son poids dans l’Union. Donc ce seront les autres pays, moins affectés, qui devront cotiser plus pour rembourser le tout. C’est ce que l’on appelle « transfert », mot autrefois tabou. Cette « initiative » devra donc ensuite passer à la Commission, où elle sera retravaillée, puis devant les chefs d’état et de gouvernement, puis les Parlements. Un processus qu’on pourra juger lent, mais qui est démocratique, autrement dit : solide. On aura compris qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron, l’Allemagne et la France, jouent ici leur crédibilité.
 
Ces 500 milliards sont-ils le fruit d’un nouveau tour de passe-passe budgétaire européen ? Comment doivent-ils être répartis pour être réellement efficace ?
Jean-Paul Betbeze : Evidemment, il ne peut s’agir d’un tour de passe-passe, où l’on demanderait à l’Europe d’aider à financer des programmes nationaux, un peu comme ce qui s’était passé avec le Plan Juncker qui avait (bien) aidé à mener à bien des programmes nationaux (notamment français). Deux raisons peuvent être avancées ici :

  • d’abord, le COVID-19 crée des chocs spécifiques, régionaux et/ou sectoriels qui devront être documentés. Rien à voir avec des rattrapages antérieurs,
  • ensuite et surtout, comme il s’agit d’un système de transfert, on peut penser que les pays qui savent qu’ils auront à cotiser plus, regarderont davantage que lors du Plan Juncker, où les risques étaient plus répartis.

Ce système à deux niveaux avec transferts implique donc des sûretés par rapport à des projets trop mal calibrés ou fondés. En revanche, il ne faut pas qu’il induise des lenteurs et des surcoûts de gestion et de vérification. Décider donc, au lancement même du projet, de ses modalités de gestion est le garant de son succès, puisqu’il y a urgence. Mais on peut penser au-delà : si l’Union ne peut se développer qu’en réduisant ses écarts de situation entre membres, elle ne peut que voir se développer sa dimension d’union de transfert, mais de transfert sérieux. Réussir ici est donc la condition du succès pour la suite.
Plus encore, ces 500 milliards s’ajoutent aux autres programmes de soutien, pour lutter contre les effets du virus (aides aux régions, aux PME et au chômage à temps partiel – programmes sans transferts pour 750 milliards) et vont « fonctionner » avec le budget de 1 000 milliards de l’Union : le Green Deal. Le Recovery Plan de cette « initiative » s’articule en effet avec lui, et la Chancelière et le Président ont parlé de secteurs stratégiques et de champions mondiaux en Europe.

Ces 500 milliards entrent ainsi dans un programme de 2 250 milliards au moins (500 + 750 + 1000), et on voit bien que nous sommes dans un nouveau monde : celui de la mésentente durable entre Chine et États-Unis et des faiblesses européennes, dont les deux ont profité. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron a noté que les contraintes imposées à tel ou tel pays membre pour l’aider, ont forcé l’une à vendre son port (on aura reconnu le quai du Pirée vendu à la Chine où elle débarque ses produits) et l’autre son réseau électrique (on aura reconnu le Portugal et la Chine). Etre efficace, au-delà de cette « initiative franco-allemande », c’est se rendre compte que l’on n’existe plus dans ce monde sans systèmes de protections, de soin, d’innovation pour l’industrie et les services… donc sans stratégie, avec ses moyens et ses risques. A partager.


Atlantico

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