L’Europe aurait-elle donc décidé de ne pas mourir ?

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Tout est possible ! De fait, ce vendredi 19 juin à 10 heures, les chefs d’Etats et de gouvernement qui se sont réunis par vidéo-conférence semblent avoir franchi trois importantes étapes dans la réponse de l’Union Européenne à la pandémie.

L’Europe aurait-elle donc décidé de ne pas mourir ?

Pas d’opposition signalée devant la somme présentée : 1 850 milliards d’euros. Telle était en effet la somme à laquelle ils devaient réagir, somme établie par la Commission pour soutenir l’Union dans la phase actuelle et qui additionne des interventions économiques, géopolitiques, technologiques et désormais sanitaires. C’est là un chiffre impressionnant, qui ajoute au Budget « renforcé » 2021-2027 de la Commission, qui passe de 1 000 à 1 100 milliards d’euros, un plan de 750 milliards (Next Generation EU) qui veut mobiliser plus de ressources, par emprunt (c’est la première nouveauté), pour augmenter le budget de l’Union.

Au contraire, les responsables des différents pays semblent accepter la logique suivie : green deal, transition numérique et résilience, en allant vite : acceptation des responsables politiques à obtenir en juillet, présentation au Parlement Européen puis à tous les Parlements Nationaux, pour distribution des fonds fin 2020 et en tout cas début 2021.

 

Pas d’opposition de principe devant la logique du plan de 750 milliards, combinant crédits (à rembourser) et subventions (dons), ce qui est la deuxième nouveauté. C’est donc mettre en avant une union de transfert ! C’est une belle avancée.

Passage donc à des discussions techniques sur les modalités du plan de 750 milliards, ce ne sera pas simple : 

  • 750 milliards, ou moins ?
  • répartition entre subventions (2/3) et prêts (1/3), ou relativement moins de subventions ?
  • discussions sur les clefs de répartition des sommes allouées : pourquoi prendre le taux de chômage relatif sur 5 ans, alors qu’il s’agit de répondre au COVID-19 ? Réponse d’Ursula von den Leyen : il s’agit de prendre en compte le degré de faiblesse relative du pays, accru par la pandémie, qui réduit d’autant ses capacités de rebond,
  • délai de remboursement : de 2028 à 2058, ou plus court, de façon à ne pas handicaper  les générations futures,
  • conditions pour obtenir des fonds : respect de l’état de droit (opposition de la Pologne et de la Hongrie à cette idée, on s’en doute), s’engager à mener des réformes structurelles et à accroître sa rigueur budgétaire (opposition du sud) ? Mieux vaudrait aller vers des engagements de mise en œuvre efficace des fonds. Ce sont en effet des appuis fléchés, sectoriels, pas macroéconomiques, que l’on peut donc lier à des programmes délimités et suivre.

 

Passage ensuite à des discussions sur l’augmentation du budget et des recoures nécessaires, d’autres problèmes techniques et politiques :

  • nouvelles taxes : extension des ressources fondées sur le système d’échange de quotas d’émission aux secteurs maritime et aérien (ce seraient 10 milliards d’euros par an), taxe carbone aux frontières (de 5 à 14 milliards),  taxe numérique (entreprises dont le chiffre d’affaires annuel global est supérieur à 750 millions d’euros, pour générer jusqu’à 1,3 milliards d’EUR par an) ou taxe sur les activités des grandes entreprises « qui tirent des bénéfices considérables du marché unique de l’UE, laquelle pourrait, en fonction de sa conception, rapporter quelques 10 milliards par an »,
  • et/ou suppression des rabais des contributeurs nets, sur le modèle du « chèque britannique » et dont  bénéficient l’Allemagne et les « Frugaux ». Ce ne sera pas facile, donc à négocier pour faire accepter « le reste ».

 

Ce qui s’est passé vendredi 19 juin est-il à la hauteur des risques (la récession européenne) et surtout des enjeux : la place de l’Europe face à la montée des tensions entre États-Unis et Chine, en pleine pandémie ? 

Les leaders européens ne l’ont pas dit, mais ils ont franchi le Rubicon des subventions entre pays au vu de la montée actuelle des périls et du risque actuel de l’Union Européenne d’être plus ou moins laissée par les États-Unis et achetée, par morceaux, par des groupes chinois. Les leaders européens ne l’ont pas dit non plus, mais accepter une union de transfert, en la faisant mettre ensuite aux voix du Parlement Européen puis des Parlements Nationaux, est la meilleure façon de mettre les « Frugaux » devant leurs responsabilités stratégiques (après leur avoir bien sûr accordé des concessions), mais surtout d’isoler la Cour Fédérale Allemande et de préparer une modification des Traités.

N’empêche, tout ceci manque de vision stratégique et avance sous des logiques très comptables, « pour ne pas trop dépenser », ou vertes, digitales ou maintenant sanitaires, pour ne pas trop avoir à décrire le monde tel qu’il se forme et ce qu’il implique. Bientôt, quand nous aurons plus de détails sur les écosystèmes auxquels pense Thiery Breton, quand nous les aurons intégrés aux plans de chacun, nous aurons une meilleure vision d’ensemble, mais avec sans doute des doublons et donc des trous. Mais surtout, l’Union doit cesser de se penser comme un « Grand Marché à protéger et à renforcer », si elle n’a pas de moyens plus importants et unifiés : économiques certes, plus encore politiques et surtout militaires. L’Union vient de franchir enfin une étape pour peser plus le 19 juin, mais elle peut s’épuiser ensuite à la réduire, comme toujours, sachant qu’elle avance moins vite que ses grands concurrents depuis la pandémie. L’Union, si elle a décidé de ne pas mourir, doit  donc continuer à le montrer.


Atlantico

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