L’arme fatale 2 : les banques centrales réussiront-elles leur propre sortie du confinement ? Voilà pourquoi nos vies en dépendent

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Face au gouffre économique planétaire ouvert par le Coronavirus, les banques centrales nous sauvent, comme elles l’ont fait en 2008. Mais contrairement à la dernière fois, sauront-elles gagner la bataille de l’après crise ?

L’arme fatale 2 : les banques centrales réussiront-elles leur propre sortie du confinement ? Voilà pourquoi nos vies en dépendent

Atlantico : Les Banques Centrales ont-elles retenu les leçons de la crise de 2008 ? Quelles erreurs commises à l’époque ont empêché l’Europe de retrouver son potentiel de croissance une fois la crise passée ?

Jean-Paul Betbeze : Oui et non, mais aujourd’hui c’est bien pire ! Oui, car elles ont compris qu’il fallait agir massivement et ensemble. Les fameux « bazookas » des banques centrales, avec les baisses de taux courts pour permettre aux entreprises et aux ménages de résister au choc, les milliards de dollars ou d’euros pour racheter les bons du trésor et faire ainsi baisser les taux longs, plus les conditions spéciales de financement des banques pour les aider à compenser leurs pertes et à continuer à faire des crédits : on retrouve les mêmes outils.

Non, car le potentiel de croissance a été à peu près retrouvé aux États-Unis mais pas en zone euro. Aux Etats-Unis, où l’économie « marche » plus avec les marchés et la bourse, la croissance quantitative a été rétablie, mais pas forcément la croissance qualitative, avec le développement et la répartition des nouvelles technologies de communication (robots connectés) au sein même des filières de production. Actuellement, les États-Unis ont 200 robots pour 10 000 employés du secteur industriel, la Corée du Sud 710 mais l’Allemagne 310, la France 137 (et la Chine officiellement 97). « L’argent » n’a pas permis de produire plus efficacement et d’avoir des structures publiques plus efficaces. Les dettes publiques et privées sont restées, la recherche de la productivité publique, notamment, a été oubliée.

Mais aujourd’hui c’est bien pire : le virus est une crise systémique, mondiale, symétrique. Systémique : elle est gravissime, affectant à la fois l’offre et la demande, mondiale : elle frappe partout, symétrique en zone euro : elle implique d’agir pour tous ses membres. On imagine d’ici la taille des « bazookas » !

 

Quels sont les défis qui s’imposent aux Banques Centrales aujourd’hui ?

Jean-Paul Betbeze : Les Banques centrales retrouvent leur raison d’être première : assurer la stabilité économique, loin de ce dont on parle « en temps normal », la lutte contre l’inflation et pour la croissance et l’emploi. Elles sont les financeurs en dernière instance, pour éviter la dépression, spirale descendante où se combinent la récession (la baisse de l’activité) et la déflation (la baisse des prix). C’est bien pourquoi la Fed (la Banque Centrale Américaine) et la BCE (Banque Centrale Européenne) achètent par centaines de milliards des bons du Trésor et soutiennent les banques.

Mais, ce faisant, les Banques Centrales prennent de plus en plus de risques. La BCE par exemple doit refinancer plus largement tous les États, notamment au-delà de ses règles de capital et de qualité. « Règle de capital » : elle acceptera dans son portefeuille d’obligations publiques bien plus que la part d’un pays dans son capital (ce sera l’Italie, qui est pour 8% au capital de la BCE). « Règle de qualité » : le bon du trésor grec sera accepté (noté BB, alors qu’avant aucun bon inférieur à BBB- ne pouvait l’être). La BCE va prendre ainsi dans son bilan beaucoup plus de risques publics, ayant par ailleurs annoncé qu’elle s’émanciperait des notations des agences, jugées procycliques.

En même temps, la BCE va soutenir les banques pour qu’elles fassent plus de crédits aux ménages et aux entreprises. Suivant une récente série de mesures, elle refinance des créances sans seuil minimum (contre 25 000 euro auparavant) ce qui est favorable aux ménages et aux PME, mais plus risqué, augmente aussi la part de titres non garantis dans ses collatéraux (de 2,5 à 10%) et réduit de 20% les abattements sur les collatéraux qu’elle prenait, pour les refinancer. En même temps, les règles prudentielles de solvabilité et de liquidité sont relâchées, les stress tests repoussés.

La Fed n’est pas en reste, refinançant pour sa part les PME, les villes et les États, achetant des ETF hybrides (autrement dit : opaques). Les banques centrales en font plus qu’avant pour éviter le pire aux États-Unis et en zone euro, faisant monter les risques qu’elles prennent, pour soutenir l’activité (et l’emploi et la bourse). On pourra dire qu’elles renforcent les inégalités, soutenant la bourse, sauf que la bourse américaine est la base du financement des retraites et que 22 millions d’emplois ont été perdus en 3 semaines aux Etats-Unis. Agir fortement n’est donc pas si inégalitaire que cela !

 

Quelles décisions devront-elles prendre une fois la crise sanitaire passée, pour répondre au défi économique d’ampleur qui s’annonce ?

Jean-Paul Betbeze : On entend déjà les banquiers centraux : il faudra rembourser, et certains experts : attentions à ne pas abuser, aux « effets  d’aubaine », tout cela pour tenter de limiter l’idée que tout est gratuit, que l’État paiera, avant de nationaliser ! On voit revenir aussi les théories du « revenu minimum » et de la décroissance, avec le risque que le « revenu minimum » ne devienne celui de tous. En fait, les risques n’ont pas fini de se matérialiser, avec en sus la baisse des prix du pétrole et des matières premières qui vont fortement impacter les pays émergents. Le risque est donc celui de faillites publiques, qui ne pourront être endiguées que par des crédits massifs du FMI. En fait, la Fed et la BCE prennent plus de risques mais, relativement à d’autres, elles en prennent bien moins : le dollar et l’euro sont les monnaies de réserve du monde.

Le moment de vérité sera celui du rebond. Aujourd’hui, si l’on prend les chiffres du FMI pour 2020, les baisses de PIB sont partout énormes dans les grandes économies industrialisées : -6% aux États-Unis, -7% en France et en Allemagne, -9% en Italie. Pire, la reprise devrait être plus faible que la chute : 4,7% (États-Unis), 4,5% (France), 5,2% (Allemagne) et 4,8% (Italie). Au total, les États-Unis auraient perdu 1,5% de PIB entre 2019 et 2021, la zone euro 3,2%. Mais la Chine, avec un ralentissement de 6,1% à 1% et un rebond à 9,2% en 2021, aurait gagné 10,1% ! On imagine qu’on demandera partout aux budgets de soutenir l’investissement et aux banques centrales de faire le forcing par rapport à la Chine, autrement dit de prendre plus de risques dans la durée. La question va être : saura-t-on mieux utiliser cet argent, mieux investir, produire, former maintenant qu’il y a dix ans ? Chaque jour, la BCE achète pour 5 milliards de bons dans son programme anti-pandémie, 2.5 fais plus que pour ces autres programmes : il lui faut donc faire mieux qu’avant !


Atlantico

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