Faut-il supprimer la dette Covid ? "Il ne s'agit que de la phase émergée de l'iceberg"

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La dette Covid inquiète de plus en plus les économistes. Certains plaident pour sa suppression... Une très mauvaise idée, d'après Jean-Paul Betbeze, lui aussi économiste, qui dévoile son analyse à Planet.

Faut-il supprimer la dette Covid ?

Dette Covid : peut-on vraiment l’annuler ?

Planet : Thomas Piketty, Paul Magnette et 148 autres demandent dorénavant la suppression de la « dette Covid« , notamment en France. Il est vrai que l’épidémie coûte particulièrement cher au pays. Pour autant, peut-on vraiment annuler une dette comme si de rien n’était ? Si tel était le cas, à quelles conséquences faudrait-il s’attendre ?

Jean-Paul Betbeze : S’agissant du COVID-19, les choses sont malheureusement plus graves qu’une dette à régler. Le monde a vécu sa première pandémie majeure depuis la deuxième guerre mondiale non seulement sans se préparer, mais plus profondément sans savoir, en pleine confrontation entre Chine et États-Unis. Un temps précieux a été perdu, avec des morts, des malades qui auront peut-être des séquelles, le risque de variants sinon de l’installation de la maladie, plus les emplois perdus, les entreprises fermées et les inquiétudes qui vont demeurer chez les entrepreneurs, les consommateurs, les épargnants, les marchés… La dette est la phase émergée de l’iceberg.

Un jour, si on est sérieux, on se demandera non pas comment oublier de payer (annuler la dette) mais comment se renforcer pour repartir non seulement en France, mais aussi en zone euro, en Europe et renforcer nos liens avec l’Afrique. Le virus a marqué non seulement la faiblesse de nos systèmes de surveillance, les trous de nos productions vitales et plus encore peut-être notre manque de réactivité. On ne peut donc « annuler la dette », avec l’idée de mieux repartir, ou que c’est une dette que l’Etat se doit à lui-même (achetée par la BCE) sans passer sous silence le message envoyé à tous : pas « faire défaut », mais surtout ne pas tirer les leçons de nos faiblesses et de nos erreurs, pour se renforcer, avec plus d’emploi de meilleur qualité, pour une économie plus résiliente. Annuler la dette est une dérobade, non seulement externe, et nous le paierons, mais plus encore interne, et le prix en sera plus social encore qu’économique.

 

Dette Covid : l’annuler coûterait très cher

Planet : Ces économistes disposent de relais dans le monde politique Français, notamment en la personne de Jean-Luc Mélenchon ou depuis plus récemment celle de Arnaud Montebourg. Que répondre aux Françaises et aux Français qui pourraient être séduits par ce discours ? Quel serait, au juste, l’impact sur les contribuables les plus lambdas ?

Jean-Paul Betbeze : Il faut mûrir : il ne s’agit pas d’économistes qui signent des pétitions ou de politiques qui se préparent à la présidentielle, les deux pouvant être liés. Il s’agit de l’avenir du pays après un tel choc qui peut l’affaiblir durablement, ou le réveiller. La vraie question est celle de ce que ce virus nous dit du monde. Il vit sa troisième révolution industrielle, l’informatique, avec l’affrontement de deux puissances, l’une pour rester dominante, l’autre pour le devenir, ces deux puissances n’ayant pas les mêmes valeurs. Il s’agit donc de géopolitique, ce que les Français voient bien, mais il faut explique, discuter et débattre sur la stratégie pour en sortir.

Il est évident que nous ne sommes pas la Chine, qui s’approche et nous sommes alliés des États-Unis, qui s’éloignent. Renforcer la France dans la zone euro avec l’Afrique semble donc la seule piste, ce qui doit intégrer les questions de production, formation, écologie, financement, répartition… dans un cadre démocratique. Tout ceci a un coût, qu’il faut établir, mais annuler la dette fait immédiatement monter les taux et réduire les moyens : donc ce sera plus cher, socialement surtout. La base de toute croissance est la confiance

 

Covid : le corps « France » n’était pas sain

Planet : Peut-on seulement parler de « dette Covid », ou s’agit-il simplement d’une extension de la dette publique française ? Que traduit cet éventuel excès de langage ?

Jean-Paul Betbeze : Parler de dette-Covid a un sens si ceci permet de bien identifier le saut des dettes publiques et privées depuis 2010, mais est un risque, celui de se dédouaner, comme s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle. Or le Covid est « naturel » dans sa source : une chauve-souris à moins qu’il ne s’agisse d’un furet, mais ceci s’arrête là. L’économie arrive avec les marchés aux animaux vivants de Wuhan et les conditions de vie d’une part importante de la population chinoise, qui prend aussi le train et l’avion. La politique survient alors, pour ne pas tout dire côté chinois, pour ne pas bien s’organiser ailleurs.
Le Covid, c’est ce que produit une chauve-souris en pleine révolution d’Internet et tension sino-américaine. On comprend qu’il y a plus à réfléchir et à agir, à expliquer, convaincre et mobiliser qu’à vouloir passer à autre chose. Car le virus a frappé une zone euro faible et divisée et une France en déficit budgétaire depuis plus de 45 ans : le « corps »n’était pas sain. Mais les soutiens budgétaires nationaux, la politique de la BCE, plus l’action de l’Union européenne, plus les start-up et les réactions des entreprises de toute taille, ont montré ce qui se passe : les anticorps publics et privés se mettent en place. Bien sûr, rien ne sera facile, simple et peu coûteux socialement et économiquement, encore faut-il ne pas refuser de changer ni de se faire vacciner, ni de se tromper, en disant de ne plus devoir, pour ne pas changer et remettre en cause les « avantages acquis », qui creusent la dette.


Planet

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